« Somnambule » de Ramon Lima
Choix singulier : un solo qui évoque le sommeil pour ouvrir une soirée !
Cela peut surprendre mais, Somnabule en appelle visuellement au paresseux, animal amazonien et éminement sympatique, et le spectacle qui suivait était celui de Grupo Corpo, donc profondément brésilien. Mais surtout, et à signaler, il peut y avoir, aujourd'hui, une programmation de pièces plus spéculatives à la Maison de la danse. Une petite révolution, avec plus ou moins de réussite, c'est la loi du genre, mais à souligner.
Pour comprendre les enjeux, au moins en partie, remettons les choses en perspective. Ramon Lima est jeune danseur et un jeune chorégraphe qui travaille d'une façon assez expérimental au niveau du processus de création… Genre de phrase de dossier de presse qui ne signifie pas grand-chose ! Il est brésilien, elle a été en grande partie formé à l'IdA (institut des Arts de Brasilia) où il a étudié les arts de la scène entre 2012 et 2016 avant d'arriver en France en 2019. Il a intégré le Master création artistique, parcours Arts de la scène, de l'université Grenoble Alpes… Autant dire que théoriquement, il a un bagage, mais pratiquement, deux pièces à son actif ! La première, Protopolis, est une installation chorégraphique qui date de 2021. Somnambule, l'autre opus, date de 2023. Pour résumer Ramon Lima est un jeune chorégraphe dont on douterait légitimement qu'il trouverait une place sur le grand plateau de la maison de la danse, et encore moins qu'il arriverait à en remplir les travées… Sa présence à la Maison de la danse n'est donc pas malvenue, seulement étonnante. D'où petite incise immobilière qui s'impose : le studio de la Maison de la danse a été entièrement restaurée pour cette saison. Dans le « dispositif », ce studio est une idée fixe portée par les successeurs succesif de Guy Darmet et il est amusant de voir que ces personnalités si différentes ont tiré la barque danse le même sens.
Le studio vise à accueillir une programmation de solo, duo voire de trio, dans les meilleures conditions pour les artistes et le public. C'est Dominique Hurtebize, Le directeur technique de la maison de la danse, qui a dirigé cette toute récente phase de restauration. Phase, car il s'agit de la troisième étape de la métamorphose de ce lieu qui n'était qu'une salle partagée avec la mairie du huitième. Déjà, en 1993, elle avait reçu plancher et installation scénique. Celle-ci avait été améliorée, largement, et avait reçu un gradins rétractable en 2005. La jauge était (est) de 92 personnes. Cette année, le chauffage installé est réversible en climatisation, le parquet a été poncé, murs et plafond peint en noir, qualité acoustique et les lumières améliorées. Ce studio est devenu une parfaite boîte noire pour un investissement de 140000€ entièrement financé par la Maison de la danse. Et cela permet de répondre aux souhaits de Tiago Guedes, le directeur depuis 2022 : un lieu d'expérimentation intime et confortable qui reçoit opportunément un très jeune chorégraphe en recherche. Et il était assez amusant de mesurer la différence entre la proposition de Ramon Lima et le spectacle ; qui attendait ensuite le public avec Grupo Corpo. La programmation est aussi l'art du grand écart.
Pour le reste, comme il a été dit dans le titre du solo, il est question de sommeil et de pas sommeil… Donc, lorsque la lumière lance la pièce, un corps vaguement, capuchonné et assis en haut de jardin. Noir ; lumière : il est toujours là, mais pas plus animé sinon qu'il tombe sur le côté et rampe dans cette position, arpentant de tout son corps et dans un abandon total. Plus qu'un sommeil, c'est l'aboulie qui semble affecter le danseur dans l'impossibilité de se redresser, d'exprimer une volonté ou un désir. Avançant sans but précis, sur le dos ou le flanc, effectuant, pour changer de direction, des girations complexes mais tout aussi atoniques et comme malgré lui. Un peu plus de son, il se redresse, mais pieds en l'air, « Icare est chu ici » dit le poète, tête la première et planté droit dans le sol. Il va s'en glisser sous les lais du tapis de scène blanc qui regimbe à jardin, revient debout lissant ces cheveux, plié. Pris d'une soudaine intention, il démonte l'enceinte du haut de jardin, la désolidarise de son pied, paraît écrasé de de poids, la laisse. S'évanouit dans l'ombre.
Plus qu'un dormant errant sur le plateau, plus qu'un somnambule - car le sommeil n'efface pas l'énergie, voir la Somnambula de Vincenzo Bellini - Ramon Lima évoque le Bradypus amazonien, dit aussi paresseux, animal fascinant pour sa lenteur sereine. Mais que l'on ne s'y trompe, hors de son biotope, jeté dans le monde, le paresseux souffre : être constamment entouré de bruit et de monde, sans pouvoir s’en échapper, le stresse énormément. Si son métabolisme lui permet de conserver son énergie, il dort beaucoup plus en captivité qu'en liberté. Il proteste par l'aboulie. Ramon Lima fait donc de l'absence de vouloir une rébellion et son solo pourrait regarder du côté du Bartleby du romancier Herman Melville qui refuse de jouer le jeu social en déclarant « qu'il préférerait ne pas ». Intéressante « invite à remettre en question les logiques d’existence façonnées par la pression d’une demande perpétuelle de productivité » (dossier de presse dixit, toujours), sinon que cela demande, pour être pertinent sur le plateau, un peu d'approfondissement ! François Verret avait tenté l'approche ( Bartleby, 2000) non sans talent ; le glissement sous le tapis avait été expérimenté par la compagnie Retouramont, le refus d'être vu soutendait le formidable If You Couldn't See Me (1994) de Trisha Brown, autant de propositions qui apporteraient du matériaux pour donner à ce solo une pertinence qui lui manque un peu. L'aboulie est une conquête qui réclame qu'on s'y investisse !
Philippe Verrièle
Vu le 27 mars 2025 à La Maison de la Danse (studio), Lyon.
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