« Solitudes duo » de Daniel Léveillé
La pièce du Montréalais créée en 2016, sera à l'affiche du Pavillon Noir d'Aix-en-Provence les 5 et 6 février prochains.
L'approche chorégraphique de Solitudes duo n'est pas moins paradoxale que son titre. Face au corps d'un tel, ou dans les bras d'une telle, les partenaires se succèdent. Mais la forme reste. Dans ce cabaret de la rencontre, les choses se passent comme dans la vie. Dans chaque relation, une part de solitude résiste.
Un duo masculin donne le coup d'envoi. Vêtus de slips et s'affrontant sur un carré blanc, tels deux lutteurs donc, deux hommes cultivent un savant équilibre entre héros grecs et anti-héros contemporains. Sans surenchère musculaire, leurs corps presque ordinaires évoquent la puissance des légendes autant que la fragilité des quidams.
Beaucoup d'harmonie, mais aucun romantisme. Beaucoup de contact, mais pas d'enjeu érotique. Beaucoup d'acrobaties, mais pas de mise en valeur circassienne. Beaucoup d'effort musculaire, sans vouloir s'en cacher ni le mettre en valeur. Sans rien poétiser, Solitudes duo pose sur le plateau ce qui, projeté en l'air, finirait par faire rêver.
Dans cet acte d'équilibrisme esthétique et sémiotique, tout tient sur un fil. Mais la dimension circassienne de cette acrobatie conceptuelle n'est pas fildefériste. Pour les athlètes du quotidien qu'on rencontre ici, rien n'est impossible, mais rien ne va de soi. La performance ne joue pas sur l'épuisement, mais avec les limites de la force physique. Mine de rien, Solitudes duo repose sur la prouesse.
Ces duos cultivent une abstraction presque constructiviste, inventant des portés les uns plus improbables que les autres. Il serait exagéré de parler de couples, même quand ils miment des ébats violents. Le corps représente avant tout sa forme, un peu comme dans un pictogramme. Mais jamais l'émotion ne fait défaut. Si elle n'est pas livrée clés en mains avec l'acte, elle ressurgit néanmoins sur cette route qui mène vers le neutre, dans un dialogue incessant avec les interprètes et la musique, alternant entre Bach et The Doors.
Pas de masque, pas de personnages, pas de fard. La technique ne cache rien de l'individu, même si la nudité n'est ici pas intégrale, comme précédemment dans Amour Acide et Noix ou La pudeur des Icebergs. C’est peut-être le passage d'un travail sur l'émotion à un regard plus formel qui amène une nécessité de vêtir les entrejambes.
L'art de Solitudes duo consiste à contenir, suggérer et résumer toutes les potentialités, du cubisme au Bauhaus, des paillettes du cirque au cabaret érotique. Sans jamais tomber ni d'un côté ni de l'autre. Même face à face, en secouant les bassins, les interprètes observent un devoir de réserve en matière de concrétisation.
Galerie photo © Denis Farley
Ça fonctionne à merveille sur les corps masculins. Jusqu’à ce que, dans le seul face à face féminin, la méthode prend un coup, ou plutôt une caresse. L'imaginaire poétique effectue alors un petit retour vers l'ambiance des pièces précédentes. Mais malgré cette douce subversion, la structure de la construction tient bon.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 25 janvier 2016, Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre de Faits d'Hiver 2016
Mercedi 5 et jeudi 6 février 2020 à 20h - Pavillon Noir d'Aix-en-Provence
Solitudes duo
Chorégraphe : Daniel Léveillé
Interprètes : Mathieu Campeau, Ellen Furey, Esther Gaudette, Justin Gionet, Emmanuel Proulx, Simon Renaud
Conception des éclairages : Marc Parent
Musique : Johann Sebastian Bach, Pancrace Royer
Conseillère aux costumes : Geneviève Lizotte
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