« Sérénités était son titre » de Danya Hammoud
Au CDCN Atelier de Paris, la Libanaise crée une pièce qui en contient une autre, renouvelant l’idée même d’un spectacle de danse.
Plus les adversités s’accumulent [notre interview en témoigne de façon exhaustive], plus la danse peut montrer sa capacité à rebondir. C’est ici le cas, pleinement. Sérénités devait voir le jour en juin, pendant June Events 2020, dansé par Danya Hammoud, Yasmine Youcef et Ghida Hachicho. Mais Hachicho vit au Liban et les frontières ont été fermées, en raison du coronavirus.
Ensuite, les explosions du 4 août ont laissé Beyrouth meurtrie, démembrée. Comme la pièce de Hammoud, désormais un duo, une autre pièce, une pièce au sujet d’une pièce, une pièce dans une pièce.
L’idée de Sérénités reste vivante, dans Sérénités était son titre. Un duo où se racontent l’essence et l’histoire d’une pièce qui n’a existé qu’en répétitions. Des cris muets déchirants, des corps plaqués au sol qui éprouvent la pesanteur d’un monde à laquelle ils doivent arracher le moindre mouvement. Entre autres… Il en reste des fragments, à deux, et la présence imaginée de Ghida Hachicho, comme si nous assistions à une cérémonie pour le trio qui devait se créer en juin.
La force vitale de la danse
Plus la création avançait, plus les conditions de vie au Liban se dégradaient, jusqu‘à la révolte du peuple contre la classe politique en octobre, jusqu’aux explosions dans le port de Beyrouth…Difficile de trouver de la sérénité sous ses conditions. Comment la pièce aurait-elle pu conserver son titre? Et pourtant, elle survit, à travers ce duo entre danse et récit. En s’adressant au public, Hammoud et Youcef lient les fragments, en toute simplicité, avec gravité et sérénité. La voix trace sa voie, elle vibre, mais ne tremble pas. Les corps s’amollissent, se serrent, épousent le sol et cherchent l’apesanteur. En même temps.
Galerie photo © Laurent Philippe
Une pièce, Sérénités, comme une douceur fantôme, sans rien oublier de la tragédie et des luttes. Et pourtant, un duo sur la force vitale de la danse, et celle du bassin. « J’ai posé la question à mon corps : Quel organe te permet de bouger, d’avancer ? C’est le bassin ! » Aussi Hammoud et Youcef parlent-elles de leur danse de célébration: Au fil des séances et résidences, ce miroir de la féminité avait changé de place dans la pièce, en était sortie, pour réapparaître. « Et puis, cette danse fallait-il vraiment la garder », demande Hammoud à la fin. Sa réponse aussi est une question: « Oui, mais elle surgit d’où ? » Et les bassins ondulent, lentement, discrètement. Car sérénité n’égale pas insouciance et certaines images peuvent, dans leur silence assourdissant, évoquer la terreur éprouvée après une explosion.
Retour aux fondamentaux
La danse montre ici tout son potentiel de résilience, sa souplesse et sa capacité de s’adapter aux circonstances les plus adverses. Hammoud et Youcef reviennent aux fondamentaux, au corps et à la voix, dans une forme contemporaine de la tradition du conteur, sans recourir aux médias, sans transformer leur rite contemporain en spectacle-conférence. Les corps et les voix partent d’un seul et même engagement du sensible, où le récit est aussi chorégraphique que la danse sait créer des images. Quand les deux protagonistes se figent à nouveau, en légère torsion et le buste penché en arrière, surgit un tourbillon suspendu, tout aussi strident et vertigineux que le cri muet l’accompagnant.
Les circonstances ont ici donné lieu à une nouvelle forme de spectacle de danse, autant porté par les mots que par les gestes. Sérénités était son titre est autant une pièce qu’une méta-pièce, et nullement une pièce par défaut. Les strates s’entremêlent sans se confondre, et les absences affichent leurs présences, dans l’acceptation. Par rapport à une crise, voire plusieurs, c’est ce qui s’appelle : sortir par le haut. Aller de l’avant.Car la création de ce duo reflète le questionnement actuel de Hammoud: Dans quelle direction continuer ? Donner plus d’espace à la parole? Peut-être. Elle est venue à la danse par le théâtre, et montre qu’elle maîtrise la voix autant que le geste. Dans Sérénités était son titre, il s’agit de témoigner de « mort, perte, disparition, séparation », comme l’explique Hammoud sur scène. Mais ce duo ouvre autant sur de nouveaux possibles.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 8 septembre 2020, dans le cadre de Indispensable !, CDCN Atelier de Paris
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