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« Quelques choses » par Chloé Zamboni à l'Atelier de Paris

Une partition pour trois corps et une myriades de petites choses et une explosion de trouvailles font remonter des instants chéris à la surface du plateau.

Un trio de jeunes interprètes et chorégraphes réunis pour un projet sensible et émouvant. Le tout chorégraphié par une créatrice à suivre. Il y avait de quoi faire envie. Mais il y a des jours où cela ne fonctionne pas du tout ; pas de chance, c’était ce jour-là.

Comme le chantait le regretté Brassens, « Il est des jours où Cupidon s’en fout »… Parce qu’on a vraiment envie d’aimer Chloé Zamboni. Rien que pour le parcours, pour cette façon de ne pas rester campée sur des positions fixées, pour le sens de l’aventure chorégraphique de cette Toulousaine (née en 1992), qui, après avoir pratiqué à bon niveau, au conservatoire de sa ville natale, la danse classique – est-ce que la rencontre, en 2002, avec Andy De Groat pour la recréation de Red Notes a laissé des traces ? – se réoriente à 18 ans, et au Conservatoire Régional de Montpellier, vers la danse contemporaine. L’année suivante, elle entre au Conservatoire National Supérieur de Danse de Lyon (CNSMDL) pour en sortir diplômée en 2015. Un sans-faute qui promettait une belle carrière d’interprète ; d’ailleurs, elle fait partie de la distribution de Mass B (2016) de Béatrice Massin, ce qui place la barre de l’exigence assez haut. Mais la danseuse multiplie les expériences, les recherches et les aventures artistiques jusqu’à ces ateliers avec Marie Viennot, une belle danseuse que l’on connaît chez Yvann Alexandre, pour un « Laboratoire de recherche autour des Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach ». Cela va donner Magdalena (2023). Belle pièce, comme la résolution d’une recherche ; donc Chloé Zamboni est chorégraphe. Et donc l’investissement dans cette nouvelle création n’en porte que plus. On attend, on espère. On a vraiment envie d’aimer. Mais non. Il y a des jours où, quand ça ne veut pas, etc…

Les interprètes de ce trio ne déméritent nullement. À la chorégraphe et l’impeccable Marie Viennot s’est joint Joachim Maudet, interprète mais également chorégraphe, d’une belle présence et d’une précision remarquée dans le bien déjanté Shake it out (2014) de Christian Ubl. Trois remarquables danseurs qui pourtant ne dépassent pas le stade de la parodie d’eux-mêmes. En version distanciée et errante, puis proche du grotesque… Et l’on ne retrouve pas grand-chose de l’engagement et de l’intériorité, constatés par ailleurs, de ce trio. Absents à eux-mêmes.

Pourtant, le beau projet d’étudier la relation entre les humains et les objets de leur quotidien en partant d’un moment émouvant autant que difficile, à savoir : vider la maison d’un proche décédé, était prometteur. La mort de la grand-mère de Chloé Zamboni a servi de déclencheur. La grand-mère avait vécu trente ans dans cette maison qu’il fallait débarrasser… La petite-fille a ressenti la présence persistante de sa grand-mère à travers les choses et les gestes dans la cuisine. Sujet profond. Ainsi, assumer le parti pris des choses pour renouer avec les absents : c’est Alphonse de Lamartine, celui de Milly ou la terre natale (« Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? ») revu par Francis Ponge dans Le Parti pris des choses (1942). Vaste ambition et, ironie à part, cela fait envie.

Dans toutes les parties successives de la pièce, depuis cette approche errante et lente jusqu’à la main noire en contre-jour qui s’impose devant la table centrale – et omniprésente – drapée comme un castelet, en passant par la longue psalmodie de spectres de carnaval encapuchonnés comme pour la semaine sainte de Séville et assis, le micro à la main, rien des choses n’est exprimé, quoiqu’elles soient ostensiblement montrées. Comme pour Nom donné par l’auteur (1994) de Jérôme Bel, les objets sont brandis, là pour eux-mêmes et seulement cela. À cette limite que Bel voulait cette platitude, tandis que l’esprit de la recherche de Chloé Zamboni aurait pu trouver une piste dans Projet de la matière (1993) d’Odile Duboc, laquelle, après avoir travaillé sur des artefacts et cherché à en dégager l’émotion, les fit disparaître pour ne plus danser au plateau que leurs émotions ressenties. À vouloir suivre Francis Ponge sans se trouver une traduction formelle et dansée à la poétique des objets, la pièce en reste à une sorte de version dansée et subliminale (ni le texte ni les paroles, juste l’esprit) de la Complainte du progrès de Boris Vian (« Ah ? Gudule ! / Viens m’embrasser / Et je te donnerai / Un frigidaire / Un joli scooter / Un atomixer / Et du Dunlopillo »). Certes, ces objets – et ils sont nombreux dans la pièce – recèlent une dimension profonde, mais il ne suffit pas de les afficher pour la rendre sensible, ou pour le dire comme Confucius : « Il n’y a rien de plus visible que le caché », l’inverse étant juste également. La danse pouvait tenter, dans Quelques choses, d’explorer cette dimension ; la pièce, faute de danse peut-être, n’y accède pas. Alors un nouvel essai ? Car on avait envie d’aimer cette démarche…

Philippe Verrièle
Vu le 27 novembre 2025 à l’Atelier de Paris CDCN

Distribution
Conception : Chloé Zamboni en étroite collaboration avec Marie Viennot et Joachim Maudet
Interprétation : Marie Viennot, Joachim Maudet, Chloé Zamboni
Conception musicale : Antoine Mermet
Conception lumière : Arthur Gueydan
Regard dramaturgie : Philippe Lebhar
Accompagnement à la Production : Aline Berthou et Charlotte Bayle, AOZA Production
©️Images générées par l’intelligence artificielle Midjourney à partir des intentions de Chloé Zamboni

 

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