NEXT Festival : « Sham3dane » de Nasa4nasa et « Infinétude » d’Alma Söderberg
Avec un double programme à la croisée du chorégraphique et de la performance, NEXT festival proposait un tour d’horizon où la danse devient une forme de langage.
« La danse shamdan (danse du candélabre) est une forme d'art unique et ludique qui a vu le jour au XIXe siècle, lorsqu'un danseur portant un chandelier a annoncé un mariage en marchant dans les rues sombres de la ville, en éclairant le sentier… »
Vite transportée et transformée dans les cabarets du Caire à la fin du XIXe siècle, la danse du Shamdan s’est construite à la croisée de récits populaires, de transgressions corporelles et d’actes de résistance. À travers des figures semi-légendaires comme Zooba El Klobateya ou « la Femme Surnaturelle », cette pratique scénique s’est chargée d’une aura spectaculaire et subversive : hommes efféminés en costume de danseuse, femmes défiant les normes sociales en équilibrant lustres, verres et chichas sur leur corps en mouvement. Le Shamdan, posé sur la tête, devient alors bien plus qu’un accessoire : un emblème du pouvoir performatif, du désir et de l’excès.

Aujourd’hui, les deux danseuses du collectif nasa4nasa, basé au Caire, Noura Seif Hassanain et Salma Abdel Salam, réinterprètent cette danse comme une installation chorégraphique vivante, portée par neuf femmes et intitulée sham3dan. Il faut dire que le cadre – une chapelle au sein de l’Abby Museum, ancienne abbaye cistercienne du XVIe siècle transformée par un coffrage blanc qui en tapisse l’intérieur – assez exceptionnel dans sa contemporanéité spirirtuelle s’y prête particulièrement. Le Shamdan y est réinvesti comme appareil central, générateur de sons, de poids et de résonances. À travers des partitions de mouvements fondées sur la répétition, la symétrie et la synchronicité, accompagnée d’un environnement sonore conçu par Ismail Hosny, les danseuses composent un paysage énergétique en perpétuelle mutation. Leurs corps, porteurs d’une mémoire fictionnelle et politique, convoquent les esprits et les récits qui ont dansé avant elles, mêlant une retenue des corps à un souvenir de danse du ventre ébauchée par l’une des danseuses, entrelaçant le sacré et le maudit à ces chandeliers dorés qui se balancent doucement sur leurs têtes.
Galerie photo © D.R
Formée au flamenco et à la danse contemporaine entre l’Espagne, la Suède et les Pays-Bas, Alma Söderberg développe depuis plusieurs années une approche singulière où la voix et le mouvement sont indissociables. Elle conçoit la scène comme un espace d’écoute active, où l’œil et l’oreille s’aiguisent mutuellement. De cette pratique naît une physicalité sonore, traversée par les émotions les plus brutes, réinjectées dans une forme contemporaine, sensible et singulière.

Avec Infinétude, qui réunit dans un mot valise l’infini et l’étude, Alma Söderberg compose une œuvre chorégraphique et vocale d’une rare intensité, où souffle, rythme et présence s’entrelacent dans une partition vivante qui s’inscrit à la croisée du concert chorégraphique et de la performance vocale. Au Budascoop de Courtrai, six interprètes, dont la chorégraphe, forment un cercle mouvant, assis sur un plateau dépouillé. Leurs corps respirent ensemble, leurs voix s’élèvent — non pour signifier, mais pour vibrer. Clics, souffles, cris, murmures et chants dessinent une polyphonie organique, en perpétuelle transformation. Ici, le corps devient surface sonore, caisse de résonance, matière rythmique. Chaque geste est une pulsation, chaque son un mouvement.
Galerie photo © Evelina Boberg
Cette création, la plus ambitieuse à ce jour de la chorégraphe suédoise, s’inscrit à la croisée du concert chorégraphique et de la performance vocale. Infinétude explore les liens subtils entre abstraction et sensation, entre structure et affect. Plus qu’un spectacle, c’est une expérience d’écoute partagée, une invitation à l’attention, à la porosité, à une humanité vibratoire.
Avec ses interprètes virtuoses de la polyrythmie, la syncope devient un moteur d’élan, le flux collectif se densifie, puis se fragmente, laissant émerger des individualités, comme dans ce solo de Anja Müller. Infinétude impressionne par sa rigueur et sa liberté. Même Si l’on peut parfois se perdre dans ses répétitions ou regretter certaines longueurs, qui provoque une certaine infinitude du spectateur.
Agnès Izrine
Vu le 11 novembre 2025. NEXT Festival, Abby Musée et Budascoop, Courtrai.
En tournée
Infinétude d’Alma Söderberg
Du 2 au 4 décembre 2025 à l’Atelier de Paris/CDCN dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
Distributions :
sham3dan de nasa4nasa
Création, direction et chorégraphie de nasa4nasa
Créé en collaboration avec : Dalia El Abd, Hend El Balouty, Mona Gamil, Momen Nabil, Nagham Salah, Shaymaa Shoukry, Hanin Tarek
Musique d’Ismail Hosny
Stylisme d’Ahmed Sorour
Infinétude d’Alma Söderberg
Chorégraphie : Alma Söderberg
Avec et par Anja Müller, Roger Sala Reyner, Alen Nsambu, Eliott Marmouset, Anna Fitoussi, Alma Söderberg
Dramaturgie d’Igor Dobričić
Conception lumière et direction technique : Sandra Liscano
Costumes de Behnaz Aram
Scénographie de Pol Matthé
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