Myriam Gourfink : « Rêche »
Myriam Gourfink : « Rêche »
Avec Rêche, création mondiale présentée au Panthéon, sept danseuses et danseurs rendent perceptible ce qui se joue dans nos corps lorsque nous respirons. Pour la chorégraphe Myriam Gourfink, ce mouvement vital absorbe nos peurs et convertit nos comportements les plus rudes en douceur.
Rêche. Premier mot qui vient à l’esprit quand on entend Kasper T. Toeplitz frotter de l’archet sa guitare basse à l’allure épurée. Au sol, les sept danseurs et danseuses sont, à première vue, immobiles sur le marbre du Panthéon. Difficile alors de dire s’il s’agit d’une fresque, d’une sculpture, d’un tombeau et ses multiples gisants, ou d’un charnier. Bien sûr, le lieu n’est pas innocent dans cette interprétation. Mais dès cet instant s’étoilent et se croisent toutes sortes de récits, avant même que seule une respiration commune mette en mouvement imperceptible l’ensemble des corps à terre, comme un organisme géant, ou comme l’humus des forêts soupire sous nos pas, comme un courant homogène qui relie entre eux ces interprètes partis pour un long voyage dans lequel ils ne se quitteront pas.
Galerie photo : Laurent Philippe
Bien sûr, nous retrouvons dans Rêche la technique mise au point par Myriam Gourfink qui s’appuie sur les microstructures respiratoires d’une lenteur extrême, cet inspire et cet expire que l’on peut moduler – notamment grâce au yoga qu’elle pratique et transmet – une sorte de plénitude réalisée. Mais cette fois, s’insinue une forme de douceur, ou plutôt de tendresse, comme une forme d’émotion qui s’infiltrerait dans chaque micromouvement, dans ce périple au long cours qui se déroule sous les hautes voûtes de cet édifice à la fois catafalque et promesse de gloire. Se mouvant dans une sorte de torpeur continue, tout ce qui souligne l’extrémité et l’articulation, fait de la gestuelle une sorte de fiction hallucinatoire, où la sortie d’une main, un cou qui se tend, un doigt qui se lève prend un sens mystérieux et pourtant particulier.
Galerie photo : Laurent Philippe
Bien que le groupe intriqué, entrelacé, soit allongé, il y a de l’envol dans l’air, dans ces cuisses, dans ces bras emportés, ces enlèvements presque immobiles, et bientôt ces levers et ces arabesques qui s’étirent en frises enchevêtrées, en courbures adoucies, en rondeurs qui se cabrent. Et tandis que les interprètes s’éploient et se rejoignent sur la rosace de marbre, chaque respiration soulève ce grand corps comme une expansion de l’univers. La basse de Kasper T. Toplitz et les percussions frottées ou légèrement pulsées de Didier Caasamitjana se mêlent littéralement à la pièce, l’entraîne en l’enlaçant de sons obscurs et de clartés subtiles qui la baignent en l’enveloppant.
Galerie photo : Laurent Philippe
Myriam Gourfink dit s’être concentrée pour cette création, sur la sensation des fascias, ces fines membranes translucides qui entourent nos organes nos muscles, nos os, nos artères. Ils servent de matrice, de support au corps humain et se gonflent comme autant de voiles sous l’effet de l’inspiration. Et, d’une certaine façon, la conception de la chorégraphie comme de la composition musicale pourrait en être la traduction exacte.
Galerie photo : Laurent Philippe
Mais s’insère aussi un récit plus dramatique, suggéré par les œuvres d’Anselm Kiefer qui évoquent la Grande guerrre, mais dont les matériaux utilisés suggèrent aussi « le sang, le fer, la neige à Auschwitz ». Une volonté de la chorégraphe, d’origine juive ukrainienne, qui affirme que son titre est en lien avec toute une symbolique hébraïque, et notamment des lettres « rech » (ר) et « zayin » (ז) qui pour elle, correspondent à l’apnée les poumons vides ou pleins. Il est certain qu’en ces temps de guerre, ces images viennent s’inviter dans le déroulé de Rêche.
Galerie photo : Laurent Philippe
Mais aussi imperceptiblement, qu’imperturbablement, Myriam Gourfink déploie sa chorégraphie tout en douceur et en apaisements, comme si le moelleux d’un geste pouvait calmer la mer… ou la tendresse altérer la guerre.
On saluera au passage la performance des danseurs qui, entre la maîtrise de leurs gestes, leurs souffles et leur concentration extrêmes sont absolument fascinants.
Agnès Izrine
Le 24 septembre2024, Panthéon, L’Atelier de Paris -CDCN et le Festival d’Automne à Paris. Avec le soutien de Dance Reflections by Van Cleef & Arpels.
A voir jusqu’au 28 septembre 2024 à 20h.
Distribution :
Composition chorégraphique : Myriam Gourfink
Composition musicale et basse électrique : Kasper T. Toeplitz
Percussions : Didier Casamitjana
Danse : Esteban Appesseche, Suzanne Henry, Noémie Langevin, Deborah Lary, Matthieu Patarozzi, Annabelle Rosenow, Véronique Weil
Costumes : Catherine Garnier
Lumières : Sophie Lepoutre
Régie générale : Zakariyya Cammoun
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