« Mycelium » de Christos Papadopoulos par le Ballet de l’Opéra de Lyon
Programmé pour la deuxième fois cette saison au Théâtre de la Ville, en compagnie d’un grand ballet — cette fois, celui de l’Opéra de Lyon — Christos Papadopoulos s’affirme comme un grand chorégraphe, et les artistes du Ballet comme d’immenses danseurs et danseuses.
Le mycélium est la partie immergée du champignon, la plus invisible et la plus importante puisqu’elle lui permet de communiquer par des filaments, plus ou moins connectés, à partir de pulsations électromagnétiques, pour évoluer. Les arbres utilisent également ce réseau souterrain… « c’est l’organisme le plus grand et le plus ancien de notre planète » nous dit Christos Papadopoulos, fasciné par ce rhizome extraordinaire qui permet en outre aux communautés végétales de se nourrir, d’alerter ou de se défendre.
Passionné donc par la nature et par les synchronisations chorégraphiques, le chorégraphe grec dont nous avions déjà beaucoup aimé Ties Unseen (Les liens invisibles) dansé par le Nederlands Dans Theater en octobre dernier [lire notre critique], creuse son sillon avec Mycelium, dans le même type d’écriture. Plutôt que le sous-bois, ce sont les algues qu’évoque cette entité polymorphe composée d’éléments qui s’agglutinent un à un avant de se déplacer à l’unisson, flottant dans l’espace scénique, modulant sans fin un balancement du corps et des bras, oscillant sans cesse pour créer une sorte de flux vibratoire extraordinairement puissant et entraînant.
Galerie photos © Agathe Poupeney
Comme un ressac infini, Mycélium nous plonge dans des univers inconnus où l’obscurité recueille toutes les variations du mouvement et devient pure fascination pour notre regard. Car habillés de noir sur fond noir, les danseurs et danseuses du Ballet de l’Opéra de Lyon ne forment plus qu’un seul corps qui se déplace imperceptiblement, comme une chimère à plusieurs têtes, un mirage permanent et obsédant. Un corps de ballet qui n’a jamais si bien porté son nom !
Absolument sensationnelle au sens premier du terme, c’est-à-dire en jouant de nos sensations, nous imbibant par les yeux, cette métamorphose incessante émerveille par son intensité, nous incitant à explorer sans relâche cette masse obscure, nous transportant dans ce mouvement qui désagrège progressivement l’ensemble pour aboutir à l’unanimité. Totalement hypnotique, seule la danse reste visible, magnifiée par les lumières subtiles d’Eliza Alexandropolou et la musique de Coti K. qui crée une forme de champ magnétique et sonore dont les impulsions modèlent la chorégraphie. C’est aussi une performance hallucinante pour les interprètes du Ballet de l’Opéra de Lyon qui nous captivent collectivement et individuellement, chacun s’emparant de ce même mouvement avec son idiosyncrasie, sa morphologie, ses propres moteurs et ses singularités, infimes, qui font tout le sel de cette pièce remarquable.
Agnès Izrine
Vu le 18 décembre 2024 au Théâtre de la Ville, Paris.
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