Mourad Merzouki en "Immersion"
Mourad Merzouki a imaginé, au sein du Festival Kalypso, une rencontre grand format avec de jeunes artistes rencontrés à l’occasion de ses voyages, au Maroc, en Egypte et au Chili. Ils sont les invités du festival, en « Immersion ». Ils voient les spectacles, bénéficient de master-classes, de temps d’échange avec les chorégraphes et les danseurs présents sur le festival…
DCH : Quel a été l’élément déclencheur qui vous a donné l’envie de créer Immersion et d’inviter des danseurs de tous les pays au Festival Kalypso ?
Mourad Merzouki : De plus en plus, je souhaite créer à l’intérieur de ce festival, un rayonnement international, permettant de le connecter avec des artistes du reste du monde, et je profite de mes voyages, mes tournées, pour rencontrer des danseurs, des structures qui pourraient être susceptibles soit de venir au festival, soit de mettre en place une relation avec différents pays. On l’a fait avec le Maroc, à la suite de l’aventure de Danser Casa. Nous allons donc pouvoir accueillir ces jeunes artistes pendant une semaine dans nos murs. La même semaine, viennent des danseurs égyptiens que nous avons repéré lors d’une audition organisée là-bas avec lesquels nous avions présenté une petite forme sur le parvis de la bibliothèqe à Alexandrie.
L’idée qui sous tend Immersion était de poursuivre ce travail en les faisant bénéficier d’ateliers, de rencontres de chorégraphes, des danseurs, de spectacles pendant le festival. Puis, nous avons imaginé un projet sur trois années au Chili et nous avons auditionné de jeunes danseurs pour un projet sur trois années, et l’idée c’est que cette même semaine ils soient là aussi ! ils vont avoir des master classes, aller visiter l’école du cirque Fratellini, ils iront voir Folia au 13e Art…. Le but étant qu’ils puissent baigner dans l’univers du festival et qu’ils puissent partager leurs expériences entre eux. Ils sont donc là en même temps et suivront un programme tous ensemble, l’objectif étant qu’à la fin de la semaine, ils aient rencontré d’autres cultures, d’autres danses, d’autres techniques et qu’ils repartent nourris de ce festival.
Les jeunes d'Immersion en discussion avec Mourad Merzouki © Benoîte Fanton
DCH : Qu’est-ce qu’une expérience comme celle-là peut leur apporter selon vous ?
Mourad Merzouki : Il ya beaucoup de spectacles qui ne viendront jamais chez eux. Ça va certainement enrichir leur parcours de danseurs, peut-être de chorégraphes, de voir d’autres écritures, d’autres sensibilités, un nouveau public. Ça peut créer des motivations, des désirs. Ils auront vu douze spectacles, dont ceux des Canadiens. Je souhaiterais que l’on puisse retrouver ces jeunes, ensuite, sur la saison. D’ailleurs, je retourne au Chili très prochainement pour travailler avec eux. Pour les Marocains, nous avons mis en place un concours et une scène hip hop à Casablanca qui est en train de s’organiser. En fait, nous voulons éviter la logique du « one shot » mais suivre l’évolution de chacun. C’est pourquoi nous essayons de baliser des temps qui nous permettent de les retrouver, et de continuer ce travail.
Les jeunes d'Immersion en master class avec la compagnie Rodina © Benoîte Fanton
DCH : Est-ce compliqué à mettre en place ?
Mourad Merzouki : Comme toujours, le plus compliqué c’est le financement ! Donc pour l’instant je m’appuie sur le festival. Les master classes etc. sont financées par le CCN. Mais les spectacles ne sont pas ce qui coûte le plus cher, ni les rencontres, ce sont surtout les voyages. Heureusement, les Alliances Françaises nous suivent sur ce projet, au Chili, il y a un mécène privé. Finalement, nous inventons un nouveau modèle économique en focntion des pays. Cela va donner naissance à des projets assez singuliers, assez originaux et qui font sens par rapport à ce que je voudrais défendre dans ce festival.
Les jeunes d'Immersion en master class avec la compagnie Tentacle Tribe © Benoîte Fanton
DCH : Voulez-vous parler de l’ensemble que constituent le Label Passerelles, le réseau international, le concours chorégraphique et Immersion ?
Mourad Merzouki : Exactement. Il s’agit d’ouvrir le plus possible la programmation, avec d’autres lieux, d’autres villes, qui nous permettent d’élargir les propositions, mais aussi de nous appuyer sur les expériences des uns et des autres. Du coup, on se renouvelle, on a une force plus importante et on est mieux identifié par les professionnels, le public, les artistes. Déjà en France, beaucoup d’artistes ont du mal à présenter leur travail. Donc plus on travaille en système collégial, plus on a de chances de présenter les artistes accueillis en résidence, les spectacles qu’on a repéré. Et puis, dans les autres pays, on se rend compte que le hip hop est encore beaucoup dans la rue, on ne peut pas le nier. Et notre ambition est d’apporter une forme de crédibilité à cette danse dans ces pays où l’on regarde encore le hip hop comme ici il y a trente ans.
Les jeunes d'Immersion avec les jeunes marocains de Danser Casa © Benoîte Fanton
DCH : Et eux, comment réagissent-ils au hip hop « français » ?
Mourad Merzouki : Ils sont très sensibles à ce qui se passe en France. Ce qui me conforte dans ce travail que je mène avec eux, même si ce sont des danseurs qui viennent des battles, très « underground » ils sont totalement ouverts à la démarche des chorégraphes français. Ils les considèrent comme parallèles, de ce qu’ils défendent eux-mêmes. Presque comme une suite logique. C’est encourageant pour eux.
Les jeunes d'Immersion en master class avec la compagnie Rodina © Benoîte Fanton
DCH : Existe-t-il là-bas des compagnies hip hop dans les théâtres ?
Mourad Merzouki : Non pratiquement pas. Quand on rencontre un danseur hip hop qui a un lien avec un théâtre, c’est très rare, et c’est souvent celui qui a été repéré par un chorégraphe ou une structure qui veut mettre du hip hop dans des ateliers, par exemple, mais ça reste marginal. Sinon, il faut aller dans la rue, dans les battles. Bien souvent les compagnies programmées dans ces théâtres viennent de France. Souvent, le théâtre qui nous accueille nous demande de rencontrer de jeunes danseurs qui font du hip hop mais pas seulement. Je me prête toujours à ce travail de collaboration avec les amateurs qui permet d’aller toucher un autre public et parfois d’imaginer des petites formes avec eux. Ce qu’on a fait au Chili où on a présenté le travail en première partie de Pixel, et en Egypte, ce travail autour de Danser casa en extérieur avec des danseurs amateurs. C’est une façon d’aller un peu plus loin dans ce qu’on peut leur apporter avec nos parcours.
Les jeunes d'Immersion pendant la soirée anniversaire des 10 ans © Benoîte Fanton
DCH : Comment ont-ils réagi à cette perspective de venir en France ?
Mourad Merzouki : Ils sont hyper excités. On n’a pas pu tous les ramener ici, pour des raisons économiques, donc on a dû faire une audition. Et quand on a annoncé que l’on en prenait une dizaine par pays, ils pleuraient de joie, se prenaient dans les bras… C’était l’équivalent du rêve américain. Au delà de l’artistique, il y a bien évidemment le voyage, quitter son quartier, sa ville, son pays pour l’ailleurs. On sait bien les émotions que ça procure, aller vers quelque chose de puissant, de fort qui ne se produira peut-être qu’une fois, surtout quand les moyens de voyager sont réduits… Il y a la danse, le voyage, la rencontre, l’inconnu, donc ils vivent toutes ces émotions.
Les jeunes d'Immersion © Benoîte Fanton
DCH : Le hip hop n’est-il pas vecteur exceptionnel ? On en trouve dans le monde entier…
Mourad Merzouki : C’est bien de le rappeler. Hier soir nous avons accueilli Lilo, un ancien danseur des Pockémon qui a réalisé un documentaire avec ses propres moyens. Il voyage à travers le monde, il a été dans des endroits retirés en Afrique, Brésil, Argentine, il a fait un petit montage d’une demi-heure. La salle était pleine et les questions portaient sur cet aspect. On voit du hip hop partout, et dansé n’importe où. En allant au Maroc, par exemple, j’étais loin d’imaginer qu’il y avait des danseurs avec ce niveau dans les pays du Maghreb où la danse n’existe pratiquement pas.
Propos recueillis par Agnès Izrine
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