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Montpellier Danse : Les « Mille et une nuits » façon Sorour Darabi

Création de la première pièce de groupe de l’artiste d’origine iranienne, reflétant l’ensemble de ses états transitionnels.

Sorour Darabi fait partie des êtres qui justifient à eux seuls l’existence de la ponctuation inclusive, écriture jamais assez compréhensive et donc toujours à réinventer. Voir Darabi aujourd’hui, c’est la.e prendre pour un.e jeune homme qui, avec sa barbe impeccable, ses cheveux noirs ultra-courts et sa moustache en œuvre d’art semble vouloir rendre hommage à Freddy Mercury. Mais la.e voir sur scène, c’est découvrir un être et un corps sans attaches précises côté masculin ou féminin. Ce qui conditionne une écriture chorégraphique entre les genres, projet bien plus facile à inventer en danse qu’en grammaire, où l’on cherchera en vain une invention pronominale sachant refléter l’identité hors genre, telle qu’elle correspond à Darabi comme à la plupart des interprètes de Mille et une nuits.

Depuis qu’iel s’est installé.e en France pour suivre à Montpellier la formation ex.e.r.ce (là aussi on ne sait jamais où mettre les points), Darabi relie son art à sa culture d’origine. Par exemple, au farsi, langue qui se passe de classification sexuée. Comme lui-même qui se dit en transition du genre féminin vers le masculin, tout en faisant de l’état transitionnel son genre véritable. A sa naissance, « il » était « elle ». Aujourd’hui selon l’exemple qu’iel donna un jour – en farsi le genre de table n’étant ni masculin ni féminin, mais « bois » – son « genre » devrait être « danse ». Ou « art ». Et Sorour écrit des poèmes, depuis son enfance. Et aujourd’hui pour être chantés dans Mille et une nuits.

Carré fantasmagorique

Cette installation chorégraphique est sa première proposition dépassant le cadre du solo. Où l’on prend place sur l’un des quatre côtés d’un rectangle marqué de scotch blanc. Assis à même le sol ou debout, on s’installe ou on se déplace. On pourrait même entrer et sortir de temps en temps, selon les lieux, ou bien se laisser envirer pendant les deux heures et demie que dure le voyage. La destination est un harem, étymologiquement le lieu des interdits, ou plutôt un « lieu de la nuit » habité, comme l’explique Sorour, par des femmes artistes chanteuses, poétesses et danseuses. Des sortes de geishas donc, dotées des mêmes talents que Darabi. Ce cocon nocturne qui dégage un parfum d’aventure exerce sa fascination, animé par des corps et voix trans dont on ne sait trop s’il s’agit des hôtes.ses ou des personnes en quête de leurs charmes.

Galerie photo : Laurent Philippe

Iels chantent donc des poèmes de la plume de Darabi, dont certaines lignes résonnent en diapason avec les images : « loving is falling on a frozen land / come take my hand / falling is dancing on a frozen land »  (aimer c’est tomber sur un pays gelé / viens prendre ma main / tomber c’est danser sur une terre gelée). Tout y est : Sensualité et ambiance liturgique, culottes en cuir qui étourdissent l’œil spectateur, corps qui se fondent dans les blocs de glaces, suspendus par des chaînes métalliques et traversés par des faisceaux lumineux. L’imagerie n’est pas moins baroque quand Darabi se couche sur le dos, tenant de sa bouche des cierges brulants. D’abord une, puis deux, etc… Mais avec le temps, ce paysage fantasmagorique offre des vues de plus en plus dystopiques (tout paradis contient-il sa part d’enfer ?), jusqu’à accueillir chutes, glissades et ébats de plus en plus véhéments. On s’y prend même à craindre pour la santé des interprètes…

Harem queer

Ce Mille et une nuits serait le symbole d’une culture en évolution si Darabi pouvait travailler en Iran, son pays d’origine. Mais iel a dû quitter son Shiraz natal pour pouvoir se consacrer à la danse. Sans parler du désir de transgression corporelle. Aujourd’hui Sorour vit à Berlin et crée en France, où iel compte s’installer à nouveau. Mais Berlin est, incontestablement, un fief de la culture trans. « En tant qu’artiste trans, il m’est urgent d’ouvrir un espace au sein de mon travail afin de donner accès à ce que l’on a invisibilisé et d’offrir au paysage artistique et contemporain de multiples manières d’entrevoir ces corps minorisés », écrit-iel.

Galerie photo : Laurent Philippe

En ce sens Darabi ne pouvait que créer un objet scénique hors normes et inclassable devant l’éternel, un concert chorégraphique et plastique, récital de poésie chantée mise en musique, en corps et en brumes nocturnes. Cet espace-là, fantasmé comme on peut rêver mille et une années de progrès des consciences, est un lieu utopique où les corps se libèrent et la glace fond, lentement mais sûrement. Il faut cependant être prêt à sortir complètement du réel pour aborder ce harem queer comme un espace de mille et une minutes de suspension.

Thomas Hahn
Le 29 juin 2024Montpellier Danse, Studio Bagouet

Distribution
Chorégraphie, conception, textes et direction artistique : Sorour Darabi
Performeurs, chanteur, acteurs et musiciens en live : Aimilios Arapoglou, Li-Yun Hu, Felipe Faria, Lara Chanel, Sorour Darabi, Pablo Altar, Florian Le Prisé et Ange Halliwell
Composition musicale : Pablo Altar, Florian Le Prisé
Coach vocal : Henry Browne
Création lumière : Shaly Lopez, Dani Paiva de Miranda
Scénographie : Alicia Zaton
Costumes : Anousha Mohtashami

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