Montpellier Danse : Création d'Emanuel Gat
Fractionnement en dix courtes pièces, entremêlement de deux compagnies : des prises de risque, appelant une lecture ardue, pour le chorégraphe que soutient la fondation BNP Paribas.
TENWORKS (pour Jean-Paul) dédié à Jean-Paul Montanari, ne se reçoit pas comme une autre pièce d'Emanuel Gat. Son fractionnement en dix courtes pièces, sa confrontation entre éléments de deux compagnies qui ne se connaissent pas, lui confèrent un impact plus diffus que les pièces plus habituelles de ce chorégraphe. Sa lecture est exigeante, voire ardue. Elle inspire de se demander, à un moment, ce qu'on apprécie tant dans l'écriture de ce chorégraphe.
C'est une affaire de geste, dans un corps très efficacement agencé autour d'une arête vertébrale aussi nette que souple. Celle-ci s'engage volontiers en élévation, se glisse dans des tours brefs, très amples, et très marqués. Tout cela très lisible. Clair. De multiples pauses s'autorisent, sur des déhanchés, des vrillés, des débuts de renverses. Également des suspensions des membres inférieurs. À l'étage supérieur, un foisonnement de gestes provient des bras, avec une élégance hyper-expressive.
Une aisance presque nonchalante sourd de cette plasticité pourtant modelée dans l'acuité et la vivacité.
C'est aussi une affaire de composition. De haute composition. Il émane des pièces d'Emanuel Gat une sorte de confiance lumineuse dans la libre puissance des trajectoires et déplacements. Ses dispositifs modulaires misent sur une auto-génération des formes, que les interprètes épousent, sur le qui-vive. Le grand souffle, l'allant libérateur du grand mouvement, aussi savant que grisant, saturé d'aisance, emporte ces pièces. C'en est presque incongru, dans une époque qui s'est déchirée entre les esthétiques heurtées de la performance d'une part, et les fadeurs de la danse au kilomètre d'autre part. Il y a du brillant chez Gat. Mais habité de tension aigüe.
TENWORKS (for Jean-Paul) ne peut se situer à ce niveau habituel de composition. Invité à créer une pièce pour le Ballet de l'Opéra de Lyon, Emanuel Gat s'y est laissé tenter par l'expérience – au demeurant fort rare, donc audacieuse – de mêler dix de ses danseurs habituels, et dix de ce ballet, dans la même distribution. Et d'étoiler sa composition en une dizaine de courtes pièces de dix minutes environ chacune. Celles-ci déclinant des configuration variables, allant du duo au grand effectif complet, avec des solutions tout aussi diverses d'agrégations et combinaisons puisant aux deux effectifs des deux formations respectives momentanément réunies.
Au total, un programme de presque deux heures de durée en découle. Cela alors que les danseurs du Ballet de Lyon n'ont travaillé que quatre semaines avec le chorégraphe invité. Entendons-nous : c'est le propre des interprètes de ce type de formation que de montrer réactivité et adaptablité devant tout type de sollicitations, qui n'arrêtent pas de leur être adressées de façon constamment renouvelée. Il n'y a rien là pour les intimider, d'un point de vue technique.
Oui mais voilà. Il y a quelque chose qui se joue chez Gat, qui œuvre ailleurs. Cela tient d'une imprégnation profonde, inspirant une aisance allègre, confinant à la virtuosité, traduite en termes de vélocité et de complexité échevelée des motifs. Chez Gat, la scène fourmille, s'électrise, s'aimante et se diffracte, avec quelque chose de diabolique.
C'est cela qu'on ne pouvait retrouver totalement dans TENWORKS (for Jean-Paul), sans doute parce que la familiarité d'une pratique de corps quotidiennement partagée au long cours ne pouvait y être convoquée. En échange de quoi, c'est une suite d'études qu'Emanuel Gat y expose, y propose, plustôt qu'il ne compose. Il y met en jeu les principes chorégraphiques, les fondamentaux, qui sont les siens. Il faudrait relater ici la grêle de moments très appréciables qui en découlent. Il faut dire aussi le renouvellement de regard, très attenfif et exigeant, que souvent cela appelle. On regrettera seulement l'éphémère de la chose, TENWORKS n'étant pas, pour l'instant, reprogrammé, même à l'Opéra de Lyon.
Gérard Mayen
Le 1er juillet 2017 au Théâtre de l'Agora (Montpellier danse). Jusqu'au 2 juillet.
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