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A Mimos, un France-Angleterre en mime et en os

Le physical theatre londonien triomphe à Mimos, mais c’est à Périgueux qu’ouvrira le premier centre de ressources des arts du geste.

La liste des duels franco-britanniques est longue et le Brexit ne manquera pas d’y ajouter un nouvel épisode. Quatre ans après les JO 2012 que Londres avait raflé à Paris, le festival Mimos a croisé un très intéressant rappel de ce que Londres a également récupéré de la tradition française du mime corporel par lequel Etienne Decroux avait modernisé les arts du geste, au Théâtre du Vieux Colombier.

Guillaume Pigé, jeune homme de théâtre formé en France et intéressé par le mime corporel, est obligé de quitter son pays où cet art n’est plus enseigné au meilleur niveau international. Il choisit de s’installer à Londres pour y suivre l’enseignement de Corinne Soum et Stephen Wasson, à l’école créée par leur compagnie, le Théâtre de l’Ange fou. A l’issue de sa formation, il crée Theatre Re, compagnie londonienne de théâtre gestuel dans la lignée de Decroux.

Avec Blind Man’s Song, montré à Mimos en première française, il signe un trio entre abstraction decrousienne et narration non linéaire, reflet des désirs et souvenirs d’un musicien non-voyant. Découvert par Chantal Achilli (directrice de Mimos et de L’Odyssée, scène conventionnée de Périgueux) au festival d’Edinbourg, Theatre Re remet le mime corporel sur la scène contemporaine.

Blind Man’s Song de Theatre Re

Accents de Philippe Genty, de Magritte et de Josef Nadj, conception et perfection du mouvement, présence des corps et disparition des visages: Tout confère à Blind Man’s Song une qualité onirique, amplifiée par des éléments beckettiens. Le personnage-titre, un musicien non-voyant (Alex Judd joue ses propres compositions au piano et au violon), son double et sa compagne rêvée sont d’une justesse psychologique et gestuelle absolue, faisant de ce trio un spectacle aussi profond qu’intemporel.

La réussite de Blind Man’s Song démontre tout l’intérêt d’une scène riche en danse-théâtre issue d’une idée des arts du geste comme celle du physical theatre pur jus, dont la France a certes importé le terme, mais pas encore la pertinence artistique, puisque la politique culturelle française a produit avant tout un paysage artistique où les arts du geste se mélangent avec le cirque et la danse.

Wild du Collectif Fearless Rabbits

Les différences entre les deux pays sont parlants. Guillaume Pigé est aujourd’hui un artiste à l’esprit purement britannique: « Je n’ai jamais monté une production en France et ne connais rien au paysage institutionnel français », souligne-t-il. S’il a donné un nom français à sa compagnie britannique, l’inverse est vrai pour Rémi Boissy pour le Collectif Fearless Rabbits. Wild, leur création 2016, monté à Mimos en avant-première, verra la première de sa version définitive en novembre au Théâtre de Pau et doit encore trouver sa cohérence et une écriture du geste vraiment personnelle, juste et profonde.

Lauréat 2015 des Plateaux du Groupe Geste(s), Wild utilise, dans ce qui est son aspect le plus original, une partition corporelle dans l’esprit du physical cinema, genre très développé outre-manche, qui est au 7ème art ce que le mime est au théâtre. Boissy et le dramaturge de Wild (qui n’est autre que Ronan Chéneau, écrivain engagé et connu pour ses collaborations avec David Bobee) font intervenir, en fond de scène et en contrepoint aux deux protagonistes (Raphaël Billet, Julie Travert), un chœur silencieux. Le réalisme et l’intensité de ces présences font oublier qu’il s’agit d’une vidéo.

 

Un nouvel élan pour les arts du geste

Pendant le festival s’est tenue une réunion des tutelles et de la direction de L’Odyssée qui a ouvert la voie à la création d’un centre de ressources pour les arts du geste, l’équivalent de Numéridanse sur la toile, mais également porté par l’Université de Grenoble et la médiathèque de Périgueux. Institutions et compagnies pourront y déposer leurs archives pour la numérisation et la mise en ligne.

Le projet de documentation de l’histoire, de la production et de la littérature grise concernant les arts du geste sera appuyé par un projet artistique de L’Odyssée, scène conventionnée pour les quatre ans à venir (2017-2020). Il inclut des résidences de création à Périgueux, mais aussi l’enseignement des arts du geste dans les écoles nationales de théâtre.
Financé majoritairement par la région, le projet fera de Périgueux l’épicentre européen, voire mondial, d’un art aujourd’hui plus prisé hors de France qu’en Hexagone. Pourquoi ? Depuis plusieurs décennies, les talents créateurs français s’orientent vers la danse, le cirque et les arts de la rue, budgétairement soutenus par les tutelles, contrairement aux formes contemporaines du mime.

Pourtant, les arts du geste sont au plus près de la réalité de la vie et du corps et n’attendent qu’à pouvoir s’exprimer pleinement au sujet de l’actualité sociétale, en croisant les arts visuels, plastiques et autres. Le potentiel artistique de combler ce domaine très spécifique est énorme. Et si la France reprenait son leadership perdu ?

Thomas Hahn

Spectacles vus au festival Mimos 2016
www.mimos.fr

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