Miet Warlop et les tissus: « Inhale Delirium Exhale »

La nouvelle création de la Flamande Miet Warlop, connue pour ses spectacles débridés, met en jeu d'énormes volumes de tissus, pour un ballet aérien entre gravité et délire. Où des vagues de soie ne cessent d’avaler et de recracher l’agitation humaine. Une profonde remise en question du sens de notre monde, tel un dadaïsme tragique.

Elle est Flamande, et ça se voit, dans son travail. L'esprit espiègle, un tantinet surréel et attiré par l'absurde est entre de bonnes mains chez elle comme chez quelques autres compagnies issues des plats pays, des Pays Bas à la Flandre. Warlop sait prendre énormément de libertés par rapport aux conventions, d’autant plus qu’elle ne se dit pas chorégraphe, mais artiste visuelle.

Et pourtant. Il faut bien chorégraphier tous les humains, les objets et les matériaux qui s'agitent sur le plateau, et il lui faut parfois construire des appareils invraisemblables, comme pour son Fruits of Labor  [notre critique], ou bien opérer des transformations surréelles du corps humain comme dans After all Springville [notre critique].

Ensuite, avec One Song  créé en 2022, la Flamande qui travaille entre Gand et Bruxelles s'était penchée sur notre rapport aux rites collectifs, aux hymnes et aux chants de supporters, dans une déconstruction tout aussi délirante. Ce chant unifié-éclaté marqua l'apogée d'une stratégie de détournement et de subversion. On s'attendrait donc à ce qu'une pièce arrivant sous un titre contenant le mot « Delirium » en rajoute une dose. Mais cette fois, la construction d'un monde l'emporte sur la déconstruction. Car au lieu de faire éclater un univers, Warlop ouvre des espaces mentaux qui accueillent nos imaginaires.

Nulle part, sans doute, cet Inhale Delirium Exhale  n'a été mieux placé qu'à la Biennale de la danse de Lyon, ancienne capitale mondiale de la soie, où il a occupé le plateau du Théâtre National Populaire. Et il faut rendre grâce à Warlop d'emballer ses interprètes dans une foison de monochromes en soie au lieu de recourir à des matières synthétiques. Il semble même qu'elle pourrait dérouler ses toiles apparemment sans fin de Lyon jusqu'à Paris, où nous avons découvert ce détournement chorégraphique à La Villette.

Blancs, bleus, roses ou ocre, ces rouleaux sont des chutes, des volumes délaissés par Hermès. S’ils impressionnent par leurs volumes, Ils furent pourtant destinés à la disparition, mais apparaissent finalement sous les projecteurs. Sur scène ils deviennent les personnages principaux d’un ballet où les interprètes, dans leurs apparitions comme dans leurs disparitions, sont dansés par les tissus.

Tableau par tableau - en bonne âme flamande Warlop se dit inspirée par la peinture baroque - se déplie et se replie un cabaret d'images abstraites, du plus spectaculaire au plus intimiste. Il y a d'abord comme un hommage au labeur, à la valeur travail, par la manipulation incessante d'une matière qui s'avère, malgré sa quasi-apesanteur, d'une gravité paradoxale. La fascination réside dans les transformations incessantes, faisant apparaître des suggestions visuelles qui se transforment en images, miroirs des univers mentaux de chacun.

Galerie photo © Reinout Hiel