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« After all Springville » de Miet Warlop

Paris l’été a présenté à La Villette la pièce de Miet Warlop, After all Springville (2021), une mise à jour de Springville (2009) qui s’inscrit dans une forme de théâtre visuel empreint de surréalisme – de surréalisme belge, comme il se doit.

Complexe de castration 

Pour certains spécialistes de la chose théâtrale, les spectacles se diviseraient en deux catégories : ceux avec fumigènes et les autres. Malgré son premier abord « arte povera » – décor réduit à une maison en carton costaud, à triple cannelure, dirait-on, accessoires de récupération comme ce coffret électrique quasiment nu, vêtements sobrement noirs des interprètes et machinos –,  la production n’a pas regardé à la dépense question mofette, fumeroles et autres émanations. On pense naturellement à la comptine « Pirouette cacahuète » écrite, semble-t-il, par l’institutrice Gabrielle Gradkère en 1953 : « Il était un petit homme (…) qui avait une drôle de maison (…) sa maison est en carton ». 

Les femmes et hommes-objets rappellent aussi les managers de Parade (1917), autrement dit les créatures hybrides, mi-humaines mi-automates cubistes, le cheval dont le costume était enfilé par deux danseurs, l’univers fantastique de L’Enfant et les sortilèges, de Colette et Ravel, chorégraphié en 1984 par Jiří Kylián et le personnage de « Joe Télé » créé en 1976 par la dessinatrice de comics du groupe Bazooka, Olivia Clavel. Le seul humain, chez Miet Warlop, est précisément le manager, le père sévère, le Monsieur Loyal de ce petit cirque de freaks qui se contentent de meubler l’espace ou tout comme. L’un d’eux a l’air d’un tank en carton-pâte, un canon étant braqué sur le public, comme pouvait l’être celui du film Entr’acte (1924) dans le Relâche des Ballets suédois. Le représentant de l’ordre moral tentera en vain de scier le nez de ce Pinocchio. 

Galerie photo © Reinout Hiel

Orgie visuelle

Mine de rien, Miet Warlop renouvelle les numéros de cirque et de cabaret à l’ancienne. Avec (relativement) peu de moyens mais avec beaucoup d’huile de coude de la part de ses interprètes (Margarida Ramalhete, Hanako Hayakawa, Milan Schudel, Wietse Tanghe, Jarne Van Loon, Winston Reynolds et Emiel Vandenberghe) et de ses collaborateurs (Sofie Durnez, Rossana Miele, Patrick Vanderhaegen, Eva Dermul et Jürgen Techel). Les personnages étant campés, nul n’est besoin de pousser plus loin leur définition, d’écrire la moindre trame, d’imaginer quelque rapport entre eux. Les gags sont d’ailleurs peu nombreux. Le public bon enfant de villégiateurs juliéttistes de tous âges fait feu de tout bois et rit volontiers à l’esquisse de faux pas. 

Les gags visuels sont donc rares mais efficaces. Les jambes sans tête invitent les spectateurs à prendre le thé, le café ou une coupe de champagne. Les entrées et sorties du cabanon sont soudaines et se font par la fenêtre, non par la porte. Aux fumigènes succèdent les étincelles de l’armoire électrique. Aux jambes sans tête et aux têtes au carré se substitue un personnage gigantesque, composite – peut-on penser –, les gestes des bras parfaitement coordonnés à ceux des membres inférieurs. Les gags sonores étant rares en général, ils méritent d’être soulignés. L’ouverture du grand livre de l’imprésario déclenche une rengaine – celle d’un vieux générique de feuilleton télé, genre L’Homme qui tombe à pic The Fall Guy (1981).Le monologue à base d’interjections du grand guignol est littéralement décalé, dit en playback par le comédien haut perché. Le finale n’a pas à être dévoilé, qui est tout bonnement spectaculaire.

Nicolas Villodre

Vu le 24 juillet 2022 au théâtre Paris-Villette dans le cadre du festival Paris l’été.

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