« Machine de cirque » de Vincent Dubé
Le pain, on l’a. Pour ce qui est du cirque, on veut dire du « nouveau » cirque, la filière canadienne, québécoise en particulier, nous ravitaille régulièrement à la Scala.
Quand y’en a plus, y’en a encore. Les programmateurs de la Scala, trappeurs de bêtes de scène, débusquent de par le monde ce qui se fait de mieux en matière de prouesse physique, d’ingéniosité technique, de réjouissance pour tous âges. La Machine de cirque, à la fois troupe de théâtre ambulant et opus acrobatique imaginés par Vincent Dubé, incarnés par cinq artistes polyvalents, en est un nouvel exemple. Malgré quelque retard à l’allumage, un temps mort ici ou là, un dispositif et des accessoires sous-utilisés (la structure métallique dans l’ensemble plus encombrante qu’efficace, les plateformes à roulettes, la gigantesque flûte de Pan, la velléité gaguesque des chapeaux en feutre), le show rencontre un succès mérité pour les raisons que nous allons voir.
L’alternance entre numéros virtuoses et sketches clownesques « bon esprit », entre mécanique humaine et envolée lyrique, entre risque permanent et éclair de pure grâce font que « ça le fait ». Que petits et grands vibrent en chœur, réagissent aux pointes d’humour, frissonnent à des défis artistiques allant crescendo.
La machine circassienne est pour partie dévoilée – bien entendu, les heures, les jours, les semaines d’efforts, les cassures et les blessures nous sont épargnés. Le trapèze comme son cordage de rappel, les matelas de mousse jouant le rôle de filets, la sueur qui amollit les chemises à défaut des larmes, les ratages simulés ou rattrapés sans délai ni dramatisation superflue sont intégrés comme tels au spectacle.
Les artistes sont multi-talentueux : ils ont tous plusieurs cordes à leur arc. Ainsi, le compositeur Frédéric Lebrasseur, homme-orchestre à lui seul, n’est pas seulement un brillant percussionniste, un excellent pianiste, un bon gratteur de six-cordes, il est aussi, à l’occasion, un cabot de première. La Machine de cirque recourt, sinon à la narration, du moins à la représentation avec des regards complices, des sourires entendus, des sentiments éprouvés pour de vrai ou affichés par les uns et les autres, des personnages inspirés de ceux de la commedia dell’arte. Ces augustes procrastinent élégamment l’instant décisif, le moment de vérité, celui du torero lors du dernier tercio, celui de la mise à mort. Sauf qu’ici, dans cette formule d’arène légère, il n’est d’autre animal captif que les dompteurs d’eux-mêmes.
L’art de la jongle, violon d’Ingres partagé par le quatuor de malabars Yohann Trépanier, Raphaël Dubé, Ugo Dario, Maxim Laurin et Elias Larsson, donne lieu, en milieu de partie, à une performance collective conclue en feu d’artifice. La planche dite « coréenne », élément de décor et agrès sportif, amorce quasiment le spectacle pour le boucler de manière stupéfiante – le meilleur est toujours gardé pour la fin chez les gens du voyage.
S’y illustrent ici les experts Maxim Laurin et Ugo Dario qui multipliant les sauts les plus périlleux, les bondissements en tous sens. Yohann Trépanier se livre à un acte admirable d’équilibriste-trapéziste et à une épatante routine de monocycles de plus en plus himalayens. La séquence gyroscopique et, selon nous, la plus poétique est celle du docteur ès roue Cyr, alias Elias Larsson. À l’intérieur d’un cerceau pour adultes, il résout la quadrature du cercle et incarne à sa façon l’homme de Vitruve de Léonard.
Nicolas Villodre
Vu le 19 octobre 2019 à la Scala de Paris.
Du 19 octobre au 3 novembre 2019. Du mardi au samedi, à 18h30 ; dimanche, à 18 heures.
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