Lyon : La 18e Biennale de la Danse
La Biennale 2018 présente 19 créations mondiales et 8 premières françaises. D’Annemasse à Aurillac, elle investit 43 villes en Auvergne-Rhône-Alpes.
Si le foisonnement chorégraphique qu’est cet énorme festival, cultive donc un nomadisme certain, la Biennale reste bien sûr « de Lyon ». La ville et son agglomération sont l’épicentre d’un événement aux multiples facettes, qui présente cette année 42 compagnies et coproduit 18 spectacles. Egalement définie comme une expérience collective, la Biennale inclut la 12e édition du Défilé, avec 4.500 participants amateurs et s’associe aux Journées Européennes du Patrimoine, avec six propositions pour danseurs amateurs, portées par des personnalités aussi confirmées que Yuval Pick, Oona Doherty ou Anne Martin qui rend hommage à Pina Bausch dont elle fut longtemps l’interprète.
En matière de créations, le line-up des chorégraphes en première mondiale ou française se lit tel un who’s who actuel de la chorégraphie européenne, avec Angelin Preljocaj, Alessandro Sciarroni, Josef Nadj, Saburo Teshigawara, Rachid Ouramdane, Maguy Marin, Jérôme Bel, Yoann Bourgeois/Michel Reilhac, Thomas Hauert & La Bolsa, Martin Zimmermann, Gilles Jobin...
« Rassemblement, dialogue, solidarité » sont les maîtres-mots de Dominique Hervieu pour caractériser cette édition, la quatrième sous sa direction. On pourrait en ajouter d’autres, en pleine résonance, comme « ouverture » et « mobilité », concept qui caractérise aujourd’hui la danse, bien mieux que celui du mouvement du corps, à la fois trop restrictif et trop impératif.
Des créations défiant corps et regards
Les créations de cette 18e Biennale de la Danse mettent en relation la mobilité du corps et celle de l’esprit. Bel exemple que le renversement de l’axe dans Vertikal de Mourad Merzouki, où les danseurs hip hop grimperont les murs et devront remettre en question toute leur relation au sol et au poids, avec l’aide de Fabrice Guillot, pionnier de la danse verticale et fondateur de la compagnie Retouramont. Une façon de rematérialiser l’inversion virtuelle de la perspective, intervenue à la fin de Pixel ?
Dans la même idée de basculement, Yoann Bourgeois adapte sa pièce fondatrice Fugue/Trampoline en réalité virtuelle, dans un film interactif signé Michel Reilhac. A chaque séance, dix spectateurs participants pourront éprouver l’effet déstabilisant du trampoline en mode virtuel.
Fugue VR s’inscrit dans l’important volet de cette Biennale, consacré aux liens entre danse réalité virtuelle. On cherche ici de nouvelles ouvertures et aventures chorégraphiques, en provoquant des rencontres inédites [voir notre article sur le projet Dansathon].
Changer de planète
Si Merzouki offre cordes et baudriers à ses danseurs pour s’élever dans les airs, Angelin Preljocaj demande aux siens de se projeter dans des états de gravité les plus divers. Comme s’ils voyageaient de planète en planète, ils affronteront les décalages imaginaires en matière de gravitation, imposant au corps moult variation de son poids relatif. Aussi Preljocaj revient-il à un travail de recherche pure, affranchi de toute injonction narrative.
Le défi n’est pas moindre pour les danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon, quand ils acceptent d’entrer dans le monde étrange et acrobatique de Gabriela Carrizo et Franck Chartier. 31, rue Vandenbranden est bel et bien la pièce la plus mystérieuse et décalée de Peeping Tom. Mais les deux chorégraphes doivent également ouvrir la solitude de leur village montagnard, enneigé et balayé par le vent, à une nouvelle peuplade dansante qui vit sur une autre planète chorégraphique.
Chercher de nouvelles voies
Toujours en quête de limites et de points de rupture, Alessandro Sciarroni explore dans Augusto les zones d’une création chorégraphique où la voix peut prendre le rôle du corps, et Josef Nadj se lance dans Mnémosyne, une performance où il se confronte à son propre travail d’artiste photographe.
Si le temps finit toujours par arrêter la danse, la photo immobilise le temps. Comment les deux se marient-ils sous l’égide d’un artiste qui pratique les deux disciplines ? Fabrice Lambert nous interroge, quant à lui, sur la part non domestiquée et les archaïsmes qui persistent en l’être humain, pourtant défini comme moderne et civilisé. Sa création Aujourd’hui, Sauvage est une pièce pour sept danseurs qui part, selon le chorégraphe, d’une « série d’imprévus dans le corps ».
Deux créations affichent clairement une dimension politique : Rachid Ouramdane travaille avec des enfants de réfugiés, pour lesquels tous les repères sont effacés par le déracinement, s’ils ne l’ont pas déjà étés dans leurs pays d’origine. Mais Franchir la nuit, cette création pour danseurs professionnels et enfants migrants, veut aussi parler d’espoir.
Quant à Maguy Marin, son Ligne de crête prolonge la critique de l’ultralibéralisme déjà présente dans Deux Mille Dix Sept. Marin propose, en s’appuyant sur les thèses de l’économiste Frédéric Lordon, de revenir à nos désirs profonds et véritables, en accord avec notre humanité fondamentale.
Paix avec soi-même, paix avec l’autre
A tous les déracinements et aliénations du monde actuel, Jérôme Bel oppose, dans son installation performative Danser comme si personne ne regardait, un retour à soi, par un acte de contemplation. Pour mieux échapper à l’agitation de la vie urbaine, cette création pour danseurs de sa propre compagnie du Ballet de l’Opéra de Lyon et du Conservatoire de Lyon, sera accueillie à la chapelle de l’Hôtel Dieu.
A l’opposé de cette expérience intime, se situe le Défilé, grand rassemblement collectif, qui aura lieu le dimanche 16 septembre. Le rituel citoyen lyonnais affiche plus que jamais sa vocation à fédérer, au-delà de toutes les différences et devient cette année officiellement un Défilé pour la paix, selon la volonté de sa marraine, Latifa Ibn Ziaten (mère de la première victime de Mohammed Merah et fondatrice d’une association pour la jeunesse et pour la paix). Mourad Merzouki en personne dirige l’un des douze groupes, et tout le monde se retrouvera place Bellecour pour un final avec Yoann Bourgeois qui décline son Fugue/Trampoline - Variation n° 4 pour une vingtaine d’amateurs.
Thomas Hahn
Lire notre entretien avec Dominique Hervieu :
18e Biennale de la Danse de Lyon
Du 11 au 30 septembre 2018
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