« Luminescence » d’Amir ElSaffar
La fusion entre le maqâm et le flamenco proposée sous le beau titre de Luminescence par le compositeur d’origine irakienne Amir ElSaffar, soutenue par la Fondation Royaumont, nous donne l’occasion de saluer la mémoire de Frédéric Deval, disparu en 2016.
Après avoir cofondé Flamenco en France, le musicologue avait invité à Royaumont au début des années 2000 l’Iranien Keyvan Chemirami dans le cadre du Centre européen pour la recherches et l’interprétation des musiques médiévales qu’il animait aux côtés de Marcel Pérès, une préfiguration de son Programme des musiques transculturelles.
Le flamenco s’est prêté – et continue de le faire – à ce que le vulgum pecus dont nous sommes appelle le mélange des genres. On a en tête la « rumba catalane » où s’illustra Peret en imposant une rythmique à base de vifs et joyeux « golpes » produits par l‘extrémité, la paume et le revers de la main droite, ce jeu mécanique qu’on assimila au « ventilateur » ; on eut droit en France dans les années 60 à une velléité de flamenco-twist sous la houlette de l’emigrante Niño de Lurcia ; dans les seventies, le joueur de casino, cinéaste underground et producteur de disques Gonzalo García Pelayo encouragea quant à lui le flamenco-rock, domaine d’où émergèrent des groupes à guitares électriques tels que Triana ou plus tard, après le franquisme, Ketama. On ne saurait naturellement passer sous silence l’hybridation flamenco-jazz du génial tocaor Paco de Lucía, influencé, lui, par le pionnier du jazz-rock que fut Miles Davis.
Dans le cas qui nous occupe, celui du musicien Amir ElSaffar, on sent encore cette empreinte du souffleur le plus cool de toute l’histoire du jazz, ce son de trompette bouchée infiniment réverbéré. Et sans doute aussi l’écoute (ou ne s’agit-il que de l’air du temps ?) des boîtes à rythme qui permettent à un trompettiste comme Paolo Fresu de mettre en boucle une phrase ou simplement quelques notes et de remplacer à lui seul tout l’orchestre – le Sarde donna un échantillonnage de cette technique lors d’une déambulation isadorienne d’Élisabeth Schwartz en 2004 dans le jardin du Luxembourg à l’occasion d’un hommage à Prévert imaginé par le sculpteur de feuilles en pierres sonores Pinuccio Sciola et produit par Agnès Schneider.
Galerie photo © Pierre Gondard
Amir ElSaffar, soutenu par une formation pointue composée de la violoniste (et joueuse de kamânche) Dena ElSaffar, du batteur subtil Pablo Martin Jones, du DJ électro Lorenzo Bianchi Hoesch et de la sensationnelle cantaora grenadine Gema Caballero, a alterné interventions à la trompette, psalmodies traditionnelles et improvisations au santour – un cymbalum portable frappé à l’aide de minuscules maillets. La danseuse Vanessa Aibar est sans doute encore un peu tendre ; ses effets expressionnistes, soulignés par l’éclairage en contreplongée des feux de la rampe d’avant-scène sont efficaces perçus de loin, moins pertinents vus du deuxième rang où nous étions dans la magnifique cour en plein air de la Vieille Charité. Ses routines itératives et la technique de l’agrès de la bata de cola étaient compensées par son élégance naturelle et un physique avenant contemporain.
Les palos traditionnels (seguiriya, granaína, fandanguillo de Lucena, malagueña, caña, soleá, guajira, tango...) étaient tous merveilleusement restitués par la cantaroa d’exception qu’est Gema Caballero, qui suit le sillage du regretté Enrique Morente et de Carmen Linares. L’audience a réservé un triomphe au spectacle et obtenu des artistes un bonus en rappel.
Nicolas Villodre
Vu le 29 juin 2019 à la Vieille Charité, dans le cadre du Festival de Marseille.
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