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Les dernières créations de Liz Santoro, Louise Vanneste et du Ballet Cullberg

En (vrai faux) solo exceptionnellement, Liz Santoro pousse à l'incandescence ses recherche complexes – avec Pierre Godard – sur le langage.

Avouons-le. Avouons que jusqu'à présent, c'est en proie à un rien d'inquiétude qu'on a souvent abordé les pièces de Liz Santoro et Pierre Godard. Ce dernier est chercheur de pointe dans les domaines les plus pointus et actuels du langage, liés aux algorithmes et à l'intelligence artificielle. Ses recherches irriguent le propos chorégraphique. On n'était jamais sûr d'en capter parfaitement toutes les arcanes – avec donc la crainte de louper quelque chose.

Est-ce un effet solo, clarificateur, qui joue à présent dans Stereo, la nouvelle création de cette paire d'artistes, produite par les Rencontres chorégraphiques de Seine Saint-Denis ? C'est en tout cas un solo paradoxal. D'une part, on remarque que Liz Santoro vient se produire pour la première fois dans ce format, après avoir été chorégraphe et interprète de plusieurs pièces collectives. Voilà qui prend les choses à rebours. D'autre part, Stereo est un vrai-faux solo. Son titre le suggère.

Très frontale sur le plateau, Liz Santoro est en fait accompagnée d'une présence à distance. Depuis New-York, sa fidèle interprète et collaboratrice Cynthia Koppe observe les images captées en live, de la danse en train de se produire. Le fond de scène est un écran immensément vierge. Il y a là un effet page blanche, qui inspire un grand potentiel de distances à habiter. Et cet écran se couvre incessamment des commentaires écrits en direct par l'observatrice : descriptions, références savantes, libres associations d'idées, jeux d'écriture.

La graphie est celle d'un clavier de base. Mais la mise en page instantanée et dynamique se traduit dans toute une diversité de flux, d'amalgammes, de fractionnements, d'inversions, de suspensions, blancs, saturations, etc.

Au début, on peut vouloir, une fois de plus, tout saisir de ce dispositif complexe. Et puis non. Vite on peut s'affranchir. S'en tenir au concept de base : tout n'est que langage. Alors allons-y. Et passons à la lecture du mouvement. Peut-être par effet New-York, mais aussi par résonnance physionomique, nous avons souvent pensé apercevoir le fantôme de Trisha Brown à travers la personne de Liz Santoro dans Stereo.

Galerie photos © Laurent Philippe

C'est toute une histoire de "corps démocratique" : par flux incessant, il n'est pas la moindre partie du corps à considérer comme mineure ; ni encore moins absente. Les segmentations s'écrivent avec une clarté aussi tranquille et généreuse, qu'elles sont sûres et incisives. Tout est en connexions, en résonnances. Qu'un doigt de la main agisse, là-bas, tout au bout du bras droit, et c'est tout autant le mollet de la jambe gauche qui se manifeste, concerné.

Pareille clarté, nimbée de subtilité, finit par se faire enivrante, non sans une montée progressive en intensité. Ce genre de poussée irrépressible inspire un souffle émancipateur, qui semble, à vrai dire, au plus près des intentions générales des deux chorégraphes. S'ils sont terriblement savants, c'est pour mieux déjouer la banalité asservissante des conventions. Presque tout en silence, Stereo nous invite à aménager un rapport désaliéné avec la force du langage.

Deux autres pièces, de création récente, figuraient au programme d'un long après-midi à la MC 93 de Bobigny. Avec ses dégagements au lointain, ses perspectives échappées, le grand plateau de celle-ci correspondait à merveille à l'atmosphère de Near, chorégraphié par Eleanor Bauer pour les douze danseurs du Ballet Cullberg. C'est une pièce poreuse, agrippée dans un recoin urbain de cahute avec graffs, plongé en connexion avec la vaste monde.

Sous une vivacité juvénile joliment campée en couleurs tranchées sur fond chien et loup, couve une étonnante douceur d'être. Douze solos dialoguent, pour n'en venir que progressivement à s'entremêler, s'amalgammer dans des fresques et bas-reliefs de matières fondues. Rien n'est droit là-dedans. Mais les penchés sont aimables, les chutes atténuées, les déséquilibres juste évocateurs.

Pas follement érotique et pourtant chaleureusement sensuel, sans grande ligne d'action mais saturé de situations vivantes, peu soucieux de figures chorégraphiques mais richement dialogué corps à corps, Near tire le portrait d'une jeunesse en bordure du monde, pour l'heure peu saisissable, dont on espère qu'elle n'en vienne à renoncer et se ranger bien vite. Pendant le mouvement des Gilets jaunes, au terme de manifestations d'une violence redoutable, il nous a été donné de finir en soirées auprès de supposés casseurs, alors pourtant adeptes d'un monde tendre et calme où l'on joue du violon et de l'accordéon.

Galerie photo © Urban Joren

Disposition toute autre, pour Atla, de Louise Vanneste, qui se donne de plain pied dans une salle-cube envoûtée de sonorités, de bains lumineux, de projections d'images d'échappées en vastes paysages. Au centre : un grand totem. Sur un bord, des aiguilles et des fils : l'une des interprètes s'emploie à des broderies à même le tapis de sol. Il y a quelque chose d'aussi précieux qu'ambitieux dans cette chorégraphie de l'espace tout entier.

Mais est-il trop intimidant dans ses proportions ? Quelques places assises sur le pourtour sufissent-elles pour suggérer aux spectateurs de se figer et ne plus bouger alors que l'installation se voudrait déambulatoire, dans un contact très proche avec les six interprètes. Parmi ceux-ci, un grand danseur élégamment élancé, fait souvent la paire avec un tout jeune garçon, un enfant quasiment. Cet alliage insolite capte l'attention, au point d'attenter à celle qu'on porte aux quatre autres interprètes, toutes féminines, isolées en solos.

Bref, quelque chose peine à s'articuler dans Atla, flottant dans un entre-deux qui n'est pas sans puissance d'évocation, mais ne parvient guère à prendre corps.

Gérard Mayen

Spectacles vus le dimanche 26 mai 2019 en matinée, à la MC 93 de Bobigny, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis.

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