« LAC » de Jean-Christophe Maillot
Le Théâtre national de Chaillot présente LAC, une création de Jean-Christophe Maillot pour les Ballets de Monte-Carlo, qu’il dirige depuis 20 ans. La compagnie n’était pas venue à Paris depuis sept ans. Il faut dire que les compagnies de ballets sont rarement présentées dans la Capitale, hormis à l’Opéra de Paris, qui, quant à lui, sélectionne plutôt de grands Ballets internationaux type Bolchoï ou NYCB. En tous cas, cela semble une bonne initiative si l’on en juge par l’accueil enthousiaste du public.
Jean-Christophe Maillot a créé une nouvelle version du Lac des cygnes, en collaboration avec l’écrivain Jean Rouaud qui a façonné un livet très efficace et sombre à souhait. S’il présente, bien sûr, des traits comparables à la version originale, LAC nous entraîne cependant vers un monde plus noir, où les forces obscures gisent à l’intérieur des familles, à leurs méprises et leurs non-dits. Pour autant, Jean-Christophe Maillot se garde bien de livrer ici quelque version « psychanalytique » mais a l’intelligence d’interroger la nature humaine… mais sur la partition de Tchaïkovski.
Galerie photo de Laurent Philippe
Tout commence par film en noir et blanc : Un souvenir d’enfance à la plage. Le petit prince est avec ses parents et une petite fille dont il est vraisemblablement amoureux. Mais une horrible femme (Sa Majesté de La Nuit) arrive avec une fille aussi noire que sa mère et l’enlève. Bien sûr, on apprendra qu’elle l’a transformée en Cygne.
Mais l’écran disparaît comme les souvenirs du même nom et nous voilà au cœur du problème bien connu : le Prince devenu un beau jeune homme doit se marier et naturellement, aucune des prétendantes ne l’intéresse – normal, il est toujours pris par son premier amour de la plage.
Soudain, surgit telle Carabosse ou mieux, Maléfique, Sa Majesté de La Nuit et sa fille qui a bien grandi. Se noue alors la fable des peurs et des désirs, des infidélités et des trahisons, des secrets inavouables… Avant que le Prince ne s’élance vers la forêt où il retrouvera la candeur du Cygne et le bonheur tout neuf d’un désir impossible. Bien sûr, tout cela finit mal, très mal, encore plus mal que dans les versions traditionnelles. Entre ténèbres et animalité archaïque.
Galerie photo de Laurent Philippe
LAC réussit la performance de nous plonger directement dans le mythe qui sous-tend le ballet, avec un corps de ballet bien plus réduit que ceux des versions traditionnelles. Chaque personnage est travaillé en profondeur, y compris les deux cygnes, qui redeviennent deux personnages distincts.
En se démarquant de Petipa, ce LAC évite donc les symétries martiales, les ondulations de bras et, d’une certaine façon, les caractérisations obligées des deux cygnes dansés par une seule et même interprète. Grâce à une scénographie d’Ernest Pignon Ernest bien pensée (mais un peu à l’étroit sur la scène de Chaillot par rapport au Grimaldi Forum où la pièce a été créée) et des costumes ingénieux de Philippe Guillotel les Cygnes deviennent de curieux volatiles appelés désormais Chimères, peu aimables mais très inquiétants avec leurs bras escamotés et plumés, Sa Majesté de la Nuit et ses deux archanges sont de funestes créatures qui contrastent à merveille avec les couleurs et les ors de La Cour.
Galerie photo de Laurent Philippe
Enfin, la compagnie est somptueuse. Bernice Coppieters dans son rôle de « méchante » est époustouflante de précision dans les difficultés techniques d’une chorégraphie tout en élégance du bas de jambe, tandis que l’hyperflexibilité de son buste et de ses bras sert à merveille l’expressivité de son personnage ambigu. Anja Behrend est un Cygne blanc délicat, dont les lignes fuselées manifestent pourtant la force. April Ball, plus terrienne et sensuelle campe un Cygne noir dépassé par la noirceur maternelle, et bien sûr, Mimoza Koike est une Reine parfaite, aussi finalement implacable que la sûreté de ses pas.
Les hommes ne déméritent pas, avec Alvaro Prieto (Le Roi), Stephan Bourgond (Le Prince) et Jeroen Verbruggen (Le Confident du Prince) qui tressent des duos comme on ourdit un complot, dans une danse élégante et robuste, virtuose souvent, mais sans démonstrations inutiles.
Agnès Izrine
Théâtre national de Chaillot, jusqu’au 13 juin, 20h30
http://theatre-chaillot.fr/
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