La grotte, la transe et le cheval : Entretien avec Pol Pi
Danser Canal Historique : Vous présentez un nouveau solo dans le cadre du festival Excentriques à La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne. Comment vous est venue l'idée de consacrer un spectacle au symbole de la grotte ?
Pol Pi : Le processus de création a été porté par une démarche intuitive. L'inspiration de départ ayant été de rencontrer une méthode appelée la transe cognitive auto-induite, qui permet de rentrer en état de conscience modifiée, mise au point par Corine Sombrun, une musicienne française et chercheuse en transe. Tout a commencé quand j'ai répondu à l'appel à projets Mondes nouveaux, mis en œuvre par le ministère de la Culture dans le cadre de France Relance, car il me semblait être ouvert à des propositions autres que la création d’un spectacle. J’avais vraiment envie de rencontrer Corine Sombrun et de concevoir un projet hors des sentiers battus.
DCH : Comment êtes-vous passé de l’idée d’une transe à l’espace de la grotte ?
Pol Pi : Comme Mondes Nouveaux mettait en avant le lien avec les Monuments nationaux, j'ai pris la carte des Monuments nationaux pour voir ce qui pourrait m'attirer. Et quand j'ai vu les grottes de la Vallée de la Vézère, j'ai perçu qu'il pourrait y avoir un lien entre les grottes et la transe. Plus tard, j’allais découvrir chez un ami un livre. Je l’ai choisi au hasard pour le feuilleter, sans en voir le titre : C'était un livre sur les grottes ornées de la préhistoire et les pratiques de la transe ! Voilà donc un travail qui suggère d’inviter davantage l'intuition dans le processus de création.
DCH : Qu'est-ce que la grotte représente pour vous ?
Pol Pi : J'ai envie de dire que la grotte ne représente rien pour moi, dans le sens où elle a une réalité très concrète. Elle n'est pas une représentation mais une entité peuplée de plein de présences. Après avoir visité quelques grottes, c'est la présence de la Grotte des Combarelles qui a insisté en moi. J'ai donc tissé une relation avec elle et quand je dis relation, c'est parce qu'à travers cette méthode de transe qui permet l'entrée en un état de conscience modifié, on peut entrer en relation à distance avec une personne vivante comme avec un ancêtre. Ou bien avec une grotte.
DCH : Pourquoi spécifiquement la Grotte des Combarelles ? Comment l’avez-vous explorée ?
Pol Pi : Bien sûr, j'ai lu beaucoup sur les grottes et les sujets liés à elles, mais on a surtout fait des expériences à l'intérieur de la grotte. La plus intense était d’y rentrer les yeux bandés ! Cette grotte s’articule autour d’un tunnel assez étroit qui s'avance sur 230 mètres. C’est comme une descente dans l’intérieur du corps et cet imaginaire est donc présent dans le spectacle. C'est donc une grotte assez particulière, loin de l’idée qu’on s’en fait généralement, à savoir d’un espace très grand avec ses salles et cavités. Ensuite, si l'image du ventre et de l’utérus était assez présente pendant le processus de création, c’est aussi parce que je vivais en même temps un processus de désir de parentalité. Ce qui a enclenché toutes ces images de la grotte en tant que commencement du monde et en tant qu'endroit où probablement se sont déroulés des rituels de fertilité. On trouve en effet dans cette grotte beaucoup de représentations humaines et de sexes dits féminin et masculin.
DCH : Comment la Grotte des Combarelles a-t-elle fait advenir la matière chorégraphique de votre spectacle ?
Pol Pi : Il y a eu cet élément déclencheur de la première visite en groupe avec toute mon équipe dans la grotte. Et au bout d’une de mes transes, j’ai reçu un message disant qu’il faut fermer les yeux pour voir. D’abord je ne comprenais pas. Mais Monique Veyret, la spécialiste de cette grotte, m’a expliqué qu’il y avait déjà eu des visites pour non-voyants. J’ai donc demandé que toutes les lumières soient éteintes et c’était une expérience très forte. D’habitude on rentre dans cette grotte uniquement pour visiter les gravures, ce qui ne permet pas de vivre une telle expérience. Pour cela il faut pouvoir simplement sentir l’espace et les parois. Moi, je n’y ai pas pu m’empêcher d’entrer en transe ! Et quand j’en suis sorti il était assez évident pour notre équipe que je m’étais transformé en cheval. Sauf pour moi-même. J’ai mis plusieurs jours à le comprendre. Il faut dire que les murs y sont couverts de gravures de chevaux. Cette relation très concrète avec la grotte m'a appris beaucoup de choses, et a rapidement généré différents états de corps qui revenaient à chaque fois que je convoquais une transe en relation avec cette grotte. On entre en transe, on pose l'intention, on lâche l'intention. Et on regarde ce qui se produit. C’est ainsi que j’ai pu développer les matières corporelles de la grotte.
DCH : Dans ce solo, vous abordez donc la grotte à travers la transe et inversement. Comment s’articule-t-il ?
Pol Pi : On commence dans une salle vide où le public est accueilli par un guide, en l’occurrence moi-même. Il s’agit d’inviter le public pour un voyage sans avoir recours à des artifices. On distribue des audioguides au public avec des explication de Monique Veryet. Nous avons enregistré sa voix et celle-ci a été traitée par Gilles Amalvi. C’est comme si je guidais le public, grâce à mon corps qui se transforme à travers différents états de corps dans lequel se reflètent les gravures de la grotte. On s’enfonce dans l’espace scénique comme s’il s’agissait de celui de la grotte, et en même temps, il est aussi l’intérieur de mon corps, mon intimité. On part de la dimension très concrète de la visite pour aller vers un espace de plus en plus intime et ma relation avec mon propre corps, comme pour se diriger vers un rituel de fertilité et d’enfantement de soi.
DCH : On sait la présence des animaux dans les peintures rupestres. Quel rôle jouent-elles dans votre pièce ?
Pol Pi : Tout s'articule autour du cheval, en référence à une réalité des grottes ornées, avec leurs dessins d’animaux. Certaines espèces s’y côtoient, d’autres jamais. Mais le cheval, lui, y est associé à tous les autres animaux. C’est pourquoi le cheval est la figure la plus importante de cette pièce, ce qui a même déclenché des choses assez fortes dans ma vie personnelle puisque depuis, j'ai commencé à faire des expériences avec des chevaux. Je pratique le « Mouvement Authentique » et des transes avec des chevaux et j'ai commencé à prendre des cours de médiation animale avec des chevaux. Grâce à la grotte, ils ont commencé à faire partie de ma vie.
DCH : De quel(s) genre(s) de danse la grotte est-elle le nom ?
Pol Pi : Je ne viens pas d’une formation conventionnelle en danse. Ma première expérience était liée aux danses traditionnelles brésiliennes qui sont très intenses et peuvent – je m’en rends compte aujourd’hui – convoquer des états de transe. J’ai aussi suivi des entraînements intenses, liés à l’épuisement, en théâtre corporel. Ensuite j’ai rencontré le butô et c’est à travers celui-ci que j’ai commencé la pratique de la danse d’auteur. La question des états de corps a donc toujours été très présente dans ma façon d’engager le corps expressif, et dans mon rapport au mouvement. la grotte est pour moi le chemin qui me permet d’assumer tout ça, à travers une danse incarnée, une danse du devenir, dans le but de convoquer d’autres présences, de se laisser porter et surprendre par elles, pour trouver de nouvelles façons de bouger, à partir d’états de transe. Toutes les matières chorégraphiques de la pièce proviennent de la transe que j’ai décortiquées en compagnie de Tamar Shelef qui est mon assistante chorégraphique pour la grotte. Il s’agissait ensuite de transposer ces matières en actions chorégraphiques, y compris une partie importante où je manipule de la glaise. Cette transformation de la matière est, elle aussi, issue de mes transes. Ce qui nous ramène à l’envie d’une création avec plus d’intuition et moins de jugement.
DCH : Quels rôles jouent le son et la musique dans la grotte ?
Pol Pi : Un rôle très important, notamment celui du guide puisque le visiteur de notre grotte a l'audioguide dans l'oreille. Il y a toute une spatialisation du son qui commence dans les audioguides et qui va petit à petit envahir l'espace avec des enceintes placées à différents endroits. J’avais commencé la création avec Diane Blondeau, qui n'a pas pu poursuivre, à la suite de quoi j'ai invité Gilles Amalvi avec lequel j'avais déjà travaillé pour mon solo Alexandre, où le son est également très important, ainsi que pour Là, une performance créée à La Pop, qui parlait du dedans et dehors, en relation avec la ville, grâce à des sons très organiques. Mais avec la grotte, il prend encore plus de place. Et je pense que c'est très lié à mon propre rapport au son. Étant musicien, j’accorde toujours un rôle très important au son. Ce qui m'intéresse dans le mouvement, c'est sa musicalité. Et pourtant j’ai du mal à travailler avec de la musique contenant trop d'informations pour moi. Aussi mes recherches se déroulent toujours sans fond musical et il n'est pas évident pour moi de trouver des personnes avec qui travailler. C’est pourquoi je suis content de collaborer avec Gilles qui aborde le son comme une matière. Donc, pour nous, la grotte est aussi la suite de notre entente.
DCH : Comment s’est déroulée la création de l’environnement musical ?
Pol Pi : Nous avons réalisé beaucoup d'enregistrements de bruits produits par moi, par l'argile, par mon costume ou mes bottes. Et petit à petit nous avons compris quelles matières sonores pouvaient dialoguer avec mes propres matières corporelles. J'ai envie d’ajouter que l'univers des lumières créé par Rima Ben Brahim est également très important, avec ses lampes et torches qui viennent convoquer la grotte et ses éclairages, renforçant les codes de la visite guidée. C’est beau et subtil. Et bien sûr le costume signé La Bourrette, qui permet beaucoup de transformations. Comme dans ma toute première pièce que j'ai faite en 2005 au Brésil pour mon diplôme en musique, les trois dimensions de la lumière, du costume et du son ont leurs propres dramaturgies et font dramaturgie avec le corps, ce qui est fondamental pour la construction de la pièce.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Distribution
Un projet de Pol Pi
en collaboration avec
Tamar Shelef : regard extérieur
Gilles Amalvi : création sonore
Rima Ben Brahim : création lumières
La Bourette : création costumes
Alicia Zaton : recherches plastiques
Tomas Cali : images
Corine Sombrun/TransScience Research Institute : transmission/accompagnement en transe cognitive auto-induite
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