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« Il nous faudra beaucoup d’amour » de Nadia Vadori-Gauthier

Faits d’hiver a mis cette création de Nadia Vadori-Gauthier au programme de sa 25édition, non dans une salle de spectacle mais dans un musée. Celui-ci est d’art moderne, parisien et municipal – par conséquent, à ne pas confondre, comme certains, avec l’établissement de Beaubourg. Il a été restauré et a eu son parcours réagencé suivant un ordre chronologique il y a peu d’années.

Le titre de la pièce fait un peu songer à la chanson pacifiste et anticolonialiste Quand les hommes vivront d’amour écrite en 1956 par Raymond Lévesque dans le contexte de la guerre d’Algérie. Il s’agit en l’occurrence d’une visite dansée plutôt que guidée proposée par Micadanses et coproduite par le musée. L’utilisation de casques bluetooth, wifi ou HF, comme c’est usuel pour les visites de groupes d’une certaine jauge nous a paru dispensable, dans la mesure où l’enceinte amplifiée JBL alimentée par batterie, fixée sur un chariot de course à roulettes, restitue avec suffisamment de watts et de clarté la B.O. Ce n’est pas une danse mais une chorégraphie, puisque, selon  les critères qui étaient ceux du concours de Bagnolet, la chorégraphie commence à partir d’un pas de trois, ce qui est le cas avec la prestation, en solo, duo et trio, de Margaux Amoros, Anna Carraud et Liam Warren. Le « mix sonore » élaboré par Irène Bousquet use de musiques variées, qui vont de l’électro au jazz, en passant par le classique (cf. par exemple le concerto en ré mineur de Bach). Auxquelles se superposent des textes écrits et dits par les danseurs et la chorégraphe commentant les œuvres, comme si la musique et la danse ne suffisaient pas, étant polysémiques par définition. 

Galerie photo © Fabrice Gaboriau / Musée d'Art Moderne de Paris

Il ne s’agit donc pas de traiter des rapports danse-musique mais plutôt de ceux que la danse peut entretenir avec la peinture. Le hasard a voulu que ce même jour ait été présenté à Pleyel un ballet de Julien Lestel consacré aux liens de l’art de Terpsichore avec la sculpture – en l’espèce, celle de Rodin. La danse postmoderne et la performance nous ont habitué à des spectacles, des anti-spectacles, des spectacles ou anti-spectacles n’en étant pas tout à fait, au moins depuis la fin des années soixante et le début des seventies – ce courant a fait florès puisque, de nos jours, quantité de danseurs contemporains font dans la performance comme M. Jourdain faisait de la prose : comme si cela allait de soi, quitte à refaire l’histoire. Pour ce qui est du MAM, on peut remonter à l’ARC de Pierre Gaudibert (1966-1972), qui fit la part belle à l’interdisciplinarité entre théâtre, danse et arts plastiques, lors de l’inauguration de la rétrospective Rauschenberg, en octobre 1968, animée par des danseurs cunninghamiens ; à celle de l’expo Soto, en juin 1969, avec des spectateurs déambulant à l’intérieur des œuvres tandis que d’autres restaient assis, comme dans un show ; au vernissage de l’événement Dewasne, en février 1969, avec une danseuse en justaucorps ; à celui du pape du pop Warhol, en décembre 1970, avec le concert d’un groupe de rock…

Plus près de nous, en décembre 2010, Lise Brisson et le musée Galliera nous convièrent en ce même lieu à assister au beau solo de Maroussia Vossen, Robe dansée, la chorégraphe étant parée d’un vêtement original de Sonia Delaunay et se produisant en miroir avec le splendide tableau de Robert Delaunay, Rythme n° 1 (1938), fort heureusement resté sur la même cimaise aujourd’hui. En janvier 2011, Rhys Chattham nous avait offert une remarquable démo de trompette bouchée, de trompette bouclée et échantillonnée via l’électronique devant un grand format de Jean-Michel Basquiat, à l’occasion de l’exposition du peintre. À sa manière, Nadia Vadori-Gauthier poursuit cette ligne de danse « libre » qui trouve son origine chez Isadora Duncan, et son état d'esprit dans le « free jazz » qui berça la jeunesse de Rhys Chattham avant qu’il se lance dans l’improvisation de danse et de musique punk, dans son fameux duo avec Karole Armitage, Vertige (1979). Il nous faudra beaucoup d’amour, chorégraphiquement parlant, relève par moments de la pure improvisation, du jazz (présent, nous l’avons dit, dans la bande-son, avec des morceaux de Charlie Mingus, Duke Ellington, Ella Fitzgerald), du « sur le vif » ou « sur le motif », de « l’ici et maintenant » qui oblige les interprètes à modérer leur ardeur et à tenir compte d’un public lui-même en mouvement. 

Galerie photo © Marjolaine Zurfluh - Nicolas Villodre

Il convient de signaler que Liam Warren ne ménage pas ses efforts, glissant jusqu’à, quasiment, chuter sur le marbre qui fait office de parquet. A l’instar de Charles III visitant une mosquée, ses chaussettes sont trouées par l’usure ; elles sont visibles, incarnat comme celles de ses consœurs et des cardinaux – une teinte dont raffolaient Balladur et Babilée. Anna Carraud fait parade de postures et de mimiques enfantines et Margaux Amoros passe du calme à l’agitation, de l’impavidité à l’emportement, de l’immuabilité à l’affolement. Les stations du chemin de croix conduisent le trio (et ses suiveurs) de Soulages à Buren en passant par Delaunay, de l’abstraction au minimalisme, de la valeur la plus sombre (dans tous les sens du terme) à la couleur la plus saturée – on pense à la variation devant le tableau de Dewasne. Le public, venu en nombre, a paru sensible à l’interprétation d’une expression par l’autre. Il faut dire que la danse a souvent fait place à la pantomime, voire au théâtre expressionniste. Cette sensation est renforcée par la contiguïté du public avec des danseurs censés être distants, sinon distanciés, en tout cas « ailleurs », dans leur monde. Ceci dit, les spectateurs ont joué le jeu, une heure et demie durant.

Nicolas Villodre

Vu le 9 février 2023 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris dans le cadre du festival Faits d'Hiver

Les 11 et 12 février 2023 à 16h 

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