« Hira gasy : L’Opéra des champs » par la Kaompania Rasoalalo Kavia
La troupe d’artistes-paysans malgaches Rasoalalo Kavia, originaire du village d’Ampahimanga, s’est produite pour la première fois en France au musée du Quai Branly.
Menée par Pâquerette Rasoalalao et Alfred Léonard Rasolofomanana, la Kaompania Rasoalalao Kavia, une mpihira gasy (également appelée mpilalao) ou formation d’art populaire composée de Jean de Dieu Randrianasolo, Jean Ramilisaona, Jean de Dieu Razafimahatratra, Louis Jean Chrisostome Rasoloarinirina, Elise Ratolojanahary, Maminiaina Misaela Rakotonarivo, Jean Baptiste Rakotobozaka, Mamitian’ny Vola Nirintsoa Marka Rasarindraniaina, Fanomezantsoa Arette Ravaonasolo, Charline Odette Razanamasoandro, Germain Randriamifidy, nous a ébloui par l’énergie et la poésie se dégageant de ses chants, de ses rythmes, de ses airs, de ses danses, plus d’une heure et quart sans discontinuer.
Les hommes, menés par le maître de cérémonie, arrivent en tout premier, depuis la salle, armés de langoraonys (tambours) et trompettes, et de lokangas (violons) aussi. Les non musiciens, qui n’ont que leur corps, leur cœur et le chœur vocal formé à plusieurs, arborent un sourire on ne peut plus franc. Ils sont uniformément vêtus d’une tunique carmin, protégés de la lumière diurne par un chapeau de paille à large rebord. Les femmes, parées de robes de gala aux teintes pastel, psalmodient, alternent cris et modulations ; elles effectuent de gracieux balancements de hanches et de petits gestes des mains. Tous et toutes sont déchaussés, tels des va-nu-pieds. Et ne cessent d’invoquer, d’invectiver, de déclamer, d’apostropher, de brocarder et de chanter toute la soirée, stimulés par les deux tambours-majors, la métronomie des frappes pleine peau et celles, plus sèches, sur la coque des caissons, entraînés par leur rythmique spécifique du kabary, une prosodie proche quoique certainement plus ancienne que le scat, le rap, le slam.
On le voit et l’entend, le hira gasy a une forme opératique. Cette danse originaire des plateaux centraux de la Grande Île semble très simple et n’exige aucun mouvement virtuose. Elle vise l’unisson et la symétrie et exige mémorisation de nombre d’ornements et parfaite coordination d’ensemble. Le hira gasy ne se dissocie ni de la musique, ni du chant, ni de la pantomime. Le hira gasy prend sa source dans des rituels comme le famadihana ou retournement des morts, une coutume de « doubles funérailles » ayant une fonction phatique entre les mânes des défunts et le monde des ancêtres. Il se déroule en plein air à l’occasion de fêtes traditionnelles, avant de prendre la forme de représentations spectaculaires, comme dans le cas présent, dans le cadre théâtral d’un amphi muséal – en l’occurrence, à l’initiative de la Maison des cultures du monde, du Centre français du patrimoine culturel immatériel et du Collectif 12 de Mantes-la-Jolie.
Galerie photos © Nicolas Villodre
L’art oratoire relève de la joute entre tarikas – bandes, familles, communautés, quartiers, etc. – dont la « battle » hip hop pourrait être un équivalent contemporain, dans la mesure où l’on trouvera des avatars de ces défis techniques, sportifs, physiques qui ont valeur symbolique à travers le monde, depuis les époques les plus lointaines. La forme est fixée qui, selon les spécialistes suit plusieurs phases distinctes : le sasin-tehaka (prélude aux applaudissements), le kabary proprement dit (discours), le reni-hira (chant principal), le zanakira (chanson enfantine), les danses dihy, guerrières puis en couple inspirées des afindrafindrao, quadrilles et polkas du XIXe siècle, puis les adieux.
L’hybridation ou mixage touche l’art vocal, choral, polyphonique à base d’airs folkloriques, de cantiques voisins du gospel, de mélodies occidentales. Le contenu est critique, polémique, politique, moral, social. Et toujours poétique. Le but poursuivi est le fihavanana, une fraternité qui rime avec nirvana. Dans cet état, toutes proportions gardées, le public s’est trouvé au terme de la soirée.
Nicolas Villodre
Vu le 8 novembre 2018 au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, dans le cadre du festival de l’Imaginaire.
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