« On Goldberg Variations / Variations » par Mal Pelo
La compagnie catalane fait briller la musique de Bach en redistribuant le geste de son écoute.
On est un peu bête. On se crispe devant une pièce chorégraphique qui s'annonce sur un hit absolu de la musique classique. On se dit que quelque chose risque de coller à la cuillière de l'écoute, et donc à la fourchette du regard. Après quoi il faut goûter. Mieux lire le titre par exemple : la compagnie catalane Mal Pelo a choisi d'écrire l'intitulé Sur les Variations Goldberg / Variations.
Cet indice n'est pas mince. Il illustre la part de détachement et de flottement avec lesquels Maria Muñoz et Pep Ramis abordent la musique de Bach. Eu.lles conçoivent leurs variations sur les Variations Goldberg. Nous venons de souligner la préposition "sur". La pièce ne découle pas de la musique ; elle varie à partir du support que cette musique propose. Tout est là.
C'est une question de libre redistribution. Dans l'écoute déjà, puisque l'enregistrement musical est donné à entendre par fragments, laissant place à des suspensions silencieuses, des rajouts d'improvisation, mais encore des séquences parlées, à teneur de réflexion poétique et philosophique.
Cela disputant l'écoute respectueuse de la musique canonique, et le parlé s'énonçant en plusieurs langues européennes non traduites, on pourrait craindre un maniérisme contemporain, vaguement agaçant.
Il n'en est rien : un genre de circulation labyrinthique vient à se créer dans ce nouveau tissu sonore. Et scéniquement, cela s'accompagne d'autant de relances, changements de perspectives, échappées et étonnements. On y trouve du plan de consistance, et d'immanence, du branchement, du flux, et de la ligne de fuite. C'est une machine anti-ennui, galvanisée par le renouvellement, le rebondissement. Ce n'est pas tous les soirs qu'on a la sensation de partir en voyage, décrocher du banal, vivre un moment tout ailleurs.
La danse se compose à cette aune. Trois femmes, quatre hommes, font respirer le plateau, en l'arpentant dans les grandes largeurs, depuis l'intense ramassé soliste, jusqu'aux amples vibrations en lignes claires ou brouillées, et toutes combinaisons pensables, en nombre comme en genre. Les motifs sont abondants, généreux, au point qu'on craint d'abord qu'ils finissent par s'écraser en saturation ; et nous avec.
Pourtant non. La très grande variation des échos en tuilages, en séries, la souplesse plastique, les emportements vers l'arrière, les sauts vrillés, les petites fureurs de flexions et extensions, les courses, les arrêts et suspensions palpitants, les hauteurs de colonnes vertébrales, font un foisonnement dont on renonce à décrire tous les détails.
Une très haute étoffe se tisse, dont certains points accrochent et irisent en étincelles les retrouvailles avec la musique. De là gagnent des vagues en échappées de résonances et inspirations.
Si rien de tout cela ne lasse jamais, c'est aussi parce que les sept interprètes couvrent un panel de très grande diversité en âges, en morphologies, en typicités humaines. Il n'en est pas un.e pour se contenter de répliquer l'autre. Une forte tonalité stylistique se dégage – soit une danse debout, sèche, un peu rêche – mais qui jamais n'a besoin de se réduire en unisson pour faire entendre son dialogue général.
On n'a rien trouvé de franchement révolutionnaire à cette écriture de Mal Pelo – on s'y dispenserait notamment de la redite systématique des portés féminins par les hommes, de plus en plus suspects à l'heure des questionnements sur le genre. Mais quitte à ce qu'elle semble un peu hors d'âge, sur un patron contemporain un brin académique, on y a trouvé une écriture de grande rareté maîtrisée, heureusement frippée par un fort caractère, faisant une pièce bien trempée, qui ne cesse de solliciter l'attention et pourvoir en émotions.
Gérard Mayen
Spectacle vu le mercredi 3 avril au Théâtre de l'Archipel à Perpignan.
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