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« Fun Times » à l’Atelier de Paris: entretien avec Ruth Childs

Fun Times, comme une promesse d’amusements sans fin ? Ruth Childs détaille les nuances de sa première pièce de groupe.

Danser Canal Historique : Vous présentez votre nouvelle création, Fun Times, à l’Atelier de Paris. Quels en sont les enjeux ?
Ruth Childs :
Après avoir créé plusieurs solos et duos, je travaille pour la première fois avec un groupe d'interprètes, à partir d’une réflexion sur les processus de travail à plusieurs, sur la joie et le désespoir, sur ce que c'est de s'amuser ensemble, ou justement de ne pas arriver à s'amuser ensemble, voire de se moquer de l’autre. Je me suis dit que le rire était quelque chose de communautaire et qu'il y avait un vrai travail à faire sur l'amplification des expressions en groupe, à partir des particularités de chaque personne. Car le groupe peut aussi amplifier la solitude. Il y a donc aussi une certaine ironie dans le titre. Et puis, est-ce qu'on peut encore rire quand le monde fait plutôt pleurer ? Et pourtant, on a tendance à essayer de se remonter le moral pour tenir le coup. Mais en même temps, n’est-ce pas un peu superficiel ?

DCH : Cherchez-vous à faire rire le public ou est-ce une forme d’humour qui se situe à un autre niveau ?
Ruth Childs :
Je ne cherche pas à faire rire à des moments précis, mais plutôt à amener le public dans différents endroits émotifs ou courbes émotionnelles. Au bout du compte, les émotions restent subjectives et je n'ai pas d'attente vis-à-vis du public. Il s’agit plutôt de créer une autre musicalité, une autre façon de regarder ces moments de vivre-ensemble. S’il y a des moments qui font rire, c'est aussi parce que certaines scènes peuvent tout autant créer de la tristesse !

DCH : Creuser le rire, jusqu’à arriver à son contraire ?
Ruth Childs :
J’avais envie de travailler sur le tragicomique en cherchant des couches entre le vrai rire, le rire cynique et la tristesse. Mais la tristesse peut être très drôle ! J'aime cet état parce qu'il est absurde en soi et contient du sens multiple, ce qui résonne bien avec la condition humaine. Le titre est aussi un petit clin d'œil au film Les Temps modernes de Charlie Chaplin et au capitalisme du fun, qui s'est tant développé.

DCH : Formuleriez-vous donc une sorte de critique de la fameuse société du spectacle?
Ruth Childs :
Je ne travaille pas tellement avec des messages. Il s'agit plutôt de faire des observations et de provoquer des émotions ou des associations, par le rire et par les pleurs, parfois au deuxième et au troisième degré. Mais il est vrai que je pose aussi des questions par rapport à une culture qui appartient à une certaine bourgeoisie.

DCH : Le rire et l'humour devraient logiquement nous amener sur un terrain plus théâtral.
Ruth Childs :
Oui, en effet, il y a un travail sur la théâtralité. J'aime beaucoup partir des expressions émotionnelles pour mieux les déconstruire, comme dans mon solo Blast, [Lire notre critique] et les rendre plus abstraites et chorégraphiques. Par exemple, on utilise le sourire pour monter dans une forme de verticalité et la tristesse pour descendre dans quelque chose de plus triste. On travaille avec la gravité et ça devient chorégraphique, mais d’une manière plus abstraite. La même chose se passe avec le rire dont nous déconstruisons la rythmique ou la musicalité pour créer des figures, des postures ou des enchaînements de mouvements, jusque dans des danses joyeuses ou drôles.

DCH : Après avoir déconstruit le rire, il vous faut néanmoins construire une chorégraphie…
Ruth Childs :
On a travaillé sur une boucle simple et absurde qui se construit à partir d’entrées et sorties continuelles, dans une scénographie qui permet les entrées surprises. Par la suite, cette boucle se transforme en danses, parfois plus théâtrales. Toute la pièce est construite à partir de cette boucle de base et ce travail sur les entrées en scène m’a logiquement amenée aux ouvertures d’opéras. Nous avons travaillé à partir des ouvertures de deux opéras de Mozart, Les Noces de Figaro et Don Giovanni, réécrites par Stéphane Vecchione. Ces deux ouvertures mozartiennes, dont la juxtaposition crée un contraste assez amusant, sont la base de notre matière musicale et chorégraphique.

DCH : Dans Fantasia, vous aviez travaillé sur Beethoven, Tchaïkovski et autres compositeurs classiques. Et aujourd’hui, Mozart…
Ruth Childs :
La rythmique et la mélodie des opéras et même leur tonalité sont présentes comme structure musicale et chorégraphique. Mais nous dansons aussi sur d'autres musiques, à partir de croisements de références du XXe siècle, notamment de la pop. Et par ailleurs, nous chantons beaucoup ! Nous commençons par un chant assez minimal dans cette première boucle qui devient rire et pleurs, qui devient chaotique et ensuite un chant beaucoup plus symphonique. Fun Times est musicalement assez anarchique.

DCH : Vous distribuez beaucoup de nuances de rouge dans les costumes, et pratiquement aucune autre couleur. Pour une raison particulière ?
Ruth Childs 
: Pour moi, le rouge a un lien avec le cirque et le comique, par le nez du clown par exemple. Et c'est une couleur qui annonce des événements puissants. Dans mes pièces j'ai toujours une couleur clé ou une dramaturgie chromatique, comme dans mon solo Fantasia [lire notre critique], avec sa suite de t-shirts de couleurs différentes. Mais contrairement à d'autres pièces, je voulais ici travailler sur une palette de textures et de matières différentes, du latex aux paillettes, de la transparence aux brillances.

DCH : Vous êtes artiste associée au CCN de Grenoble. Quel rôle a-t-il joué dans la création de Fun Times ?
Ruth Childs :
Mes deux ans d’artiste associée au CCN de Grenoble, qui coproduit Fun Times, vont se terminer en décembre. Ces deux ans ont vite passé. J'ai pu y mener des projets avec des amateurs, et puis j’ai initié un joli projet d'écriture qui s'appelle Correspondance sur au moins trois ans, pour lequel j'ai invité trois autres artistes. Nous nous écrivons des lettres manuscrites sur nos méthodes de travail respectives, sur les questions que l’on a par rapport à notre travail.


DCH : Avez-vous d’autres projets en vue que vous pouvez d’ores et déjà nous annoncer ?

Ruth Childs : L’année prochaine je serai à l’université de New York, où j’ai obtenu une résidence, un fellowship. Je vais également tourner un film avec la photographe Camille Vivier, à partir de ma pièce Delicate People que j’ai créée en 2021 avec la sculptrice Cécile Bouffard.

Propos recueillis par Thomas Hahn

Fun Times de Ruth Childs Atelier de Paris, le 21 et 22 novembre 2024 https://www.atelierdeparis.org/a-l-affiche/ruth-childs-2

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