« Fêu » : Entretien avec Fouad Boussouf
Tout juste créée à la Biennale de la danse de Lyon, Fêu, la nouvelle pièce de Fouad Boussouf sera présentée les 14 et 15 octobre à la Maison de la Musique de Nanterre puis du 18 au 21 octobre au Théâtre du Rond-Point à Paris. Dans notre interview, le directeur du CCN du Havre Normandie donne toutes les clés de cette création.
Danser Canal Historique : Votre création, Fêu, est une pièce pour dix danseuses. On imagine que cette exclusivité féminine ne tombe pas du ciel. Que représente-t-elle pour vous ?
Fouad Boussouf : Pour cette création, qui est ma première en tant que directeur du CCN du Havre Normandie, je m’inspire entre autres de mon enfance au Maroc où j’ai passé les huit premières années de ma vie, dans un contexte très populaire et rural. Une ressource d’inspiration inépuisable ! De ma mère à mes tantes, j’étais entouré de beaucoup de femmes et j’avais le privilège d’assister à des réunions exclusivement féminines.
DCH : Cette pièce s’annonce comme un mouvement à la fois circulaire et permanent.
Fouad Boussouf : En effet, j’explique dans la pièce que je n’ai jamais vu ma mère dormir. J’ai donc toujours vu des femmes en mouvement permanent. Quand je me levais, ma mère était déjà debout. Et c’était encore elle qui me couchait. Nous étions beaucoup d’enfants, et non seulement ceux de ma mère. Il y avait du mouvement, et ce mouvement était continuel. Il y avait très peu de temps de repos. Et c’est ce qui me ramène au cercle, avec cette idée qu’il n’y a ni début ni fin. C’est ce qui donne à Fêu son âme, où on peut imaginer que cette danse incessante et en cercle dure un jour, une année ou une éternité.
DCH : L’idée du cercle est certes fondamentale, mais ne crée pas encore une matière chorégraphique en soi.
Fouad Boussouf : Chorégraphiquement, l’idée est de poursuivre le geste de ma pièce Näss et celui de l’installation Burn to shine, à la fois un film et une installation dansée, que j’ai réalisée avec l’artiste italien Ugo Rondinone. C’est un film tourné avec 21 danseuses et danseurs, autour d’un feu, en Espagne en 2022. Cette réalisation m’a donné envie d’aller plus loin dans ma recherche autour de la figure symbolique du cercle.
DCH : On peut donc imaginer le public disposé en cercle, entourant les danseuses ?
Fouad Boussouf : En effet, cette pièce est faite pour que chaque interprète soit visible pour chaque spectateur, dans une scénographie certes importante mais légère. Peu importe où on se trouve dans la salle, on ne perd pas une miette. Fêu peut se jouer en face, en bi-frontal ou à 360 degrés et pourtant, chaque corps, chaque mouvement sera révélé. La frontalité n’existe pas.
DCH : Comment s’est déroulé le processus de création ?
Fouad Boussouf : Nous avons reçu cinq cent candidatures, sur lesquelles nous avons retenu dix personnes, dans une grande diversité de styles. Ce sont des femmes qui ne se connaissaient pas, qui viennent de partout et de nulle part. Le processus de recrutement a donc été extrêmement intéressant. Et pendant le processus de création, nous avons eu beaucoup de belles surprises en poussant, comme dans beaucoup de mes créations, les corps dans leurs retranchements physiques. Et par là, la pièce a pris une tournure peut-être plus politique que prévu au départ.
DCH : Quels sont les éléments de cette présence de questionnements sociétaux ?
Fouad Boussouf : Je peux en effet, sans jeu de mots, lever le voile sur certaines choses, dont un tissu très évocateur et des cheveux, en lien avec une scénographie en mouvement permanent et qui s’inspire de Burn to Shine. Les cheveux sont très présents. Ce sont beaucoup de symboles, sans chercher la subversion. Ce sont les femmes au plateau qui, avec leur engagement physique, racontent énormément de choses, entre autres sur la place de la femme dans notre société.
DCH : De toute évidence, quand on évoque le voile et la chevelure féminine, on touche à la question de la liberté de la femme.
Fouad Boussouf : Certainement. Mais ça va plus loin. Pour moi c’est une pièce de joie et d’engagement. Il s’agit de transmettre des vibrations positives. Je préfère ces termes à celui de pièce libératrice, car à mes yeux cela ne veut rien dire. C’est par le biais poétique qu’on arrive à faire passer des messages sans tomber dans un registre où on peut heurter des sensibilités, ce qui ne me ressemble pas.
DCH : Est-ce à dire qu’on va avoir, comme dans certains tableaux de Pina Bausch ou de Carolyn Carlson, une sorte d’unisson capillaire, par une assemblée de danseuses aux cheveux très longs, jouant avec une image onirique de la féminité ?
Fouad Boussouf : Chez nous, il n’y pas de style uniforme ou imposé.Les danseuses interprètent la pièce avec leurs chevelures d‘origine. Je pense qu’en vérité, tout se joue dans la tête et que le choix d’une coiffure est une conséquence de ce qui se passe dans la tête. C’est la présence au plateau qui est essentielle. Cheveux longs ou coupes courtes, ou pas de cheveux du tout, c’est presque anecdotique, même si au bout du compte ça raconte aussi quelque chose.
DCH : Ces interprètes viennent-elles de la danse contemporaine, du hip hop ou d’ailleurs ?
Fouad Boussouf : Je ne sais plus. Elles ont été choisies pour leur technique, mais aussi pour leur capacité à travailler en groupe et à s’engager intellectuellement et physiquement. Après tout, elles vont aussi voyager ensemble, et on ne recrute pas seulement des danseurs, mais en vérité on recrute des êtres humains. Alors on oublie l’esthétique au profit de la disponibilité mentale et physique, la capacité à recevoir et digérer des informations et à s’engager sur la durée, car notre tournée nous amènera au moins jusqu’en 2024. On ne choisit donc pas forcément les personnes les plus éblouissantes en matière de technique. Cela implique qu’un tel choix ne peut se faire en une seule journée. Le choix final s’est donc fait après plusieurs jours de travail avec un grand nombre sur le plateau, travail pour lequel toutes les candidates ont été rémunérées.
DCH : Quel rôle joue la musique ?
Fouad Boussouf : La musique est composée par François Caffenne qui a travaillé, entre autres, avec Olivier Dubois. C’est une musique électronique qui ressemble à ma danse. Elle est binaire, répétitive et en boucle, cyclique comme le cercle au plateau. Caffenne est venu assister aux répétitions, il nous a observés et on a travaillé avec beaucoup d’aller-retour entre la musique et la danse.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Image de preview : Fouad Boussouf © Boulomsouk Svadphaiphane
Tournées :
Septembre
Vendredi 29 → Samedi 30.09.2023 — Toboggan – Décines (69) [dans le cadre de la Biennale de Danse de Lyon]
Octobre
Vendredi 13 → Samedi 14.10.2023 — Maison de la musique de Nanterre (92)
Mercredi 18 → Samedi 21.10.2023 — Théâtre du Rond-Point – Paris (75)
Novembre
Vendredi 10.11.2023 — Le Figuier Blanc – Argenteuil (92)
Mardi 21 + Mercredi 22.11.2023 — Le Volcan – Scène Nationale du Havre (76)
Décembre
Vendredi 15.12.2023 — Scène de Bayssan – Bézier (34)
Mercredi 20 + Vendredi 22.12.2023 — Le Quartz – Scène Nationale de Brest (29)
Février
Vendredi 02 → Samedi 03.02.2024 — Théâtre de St-Quentin-en-Yvelines (92)
Mercredi 07.02.2024 — Le Cratère – Scène Nationale d’Alès (30)
Vendredi 09.02.2024 — Théâtre de Nîmes (30)
Mars
Vendredi 08.03.2024 — Théâtre Jean-Vilar – Vitry-sur-Seine (94)
Avril
Vendredi 12.04.2024 — Festspielhaus – St-Pölten [Autriche]
Samedi 20.04.2024 — La Passerelle – Scène Nationale St-Brieuc (22)
Vendredi 26.04.2024 — Concertgebouw – Brugge [Belgique]
Mai
Mercredi 29.05.2024 — Théâtre d’Orléans – Scène Nationale (45)
Vendredi 31.05.2024 — Équinoxe – Scène Nationale de Châteauroux (36)
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