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Festival La Maison danse 2024 : Uzès.ose

Emilie Peluchon présente sa 2e édition du festival uzétien, forte de moult propositions qui agitent le bocal.

Avec Myriam Soulanges et Simon Le Borgne x Ulysse Zangs sur la Promenade des Marronniers, une Happy manif  dans les rues de la ville, la performance de Léa Leclerc dans la vitrine d’un magasin, les Consultations  de Mélanie Perrier en face à face dans le Jardin médiéval ainsi que Julien Andujar au boulodrome (à la recherche de Tatiana, sa sœur mystérieusement disparue), la danse investit les espaces uzétiens en dehors des salles, une denrée scénographique dont la ville disp.ose en grand nombre. Impossible donc de toutes les mettre à contribution en une seule année, ce qui offre à Peluchon la possibilité de créer la surprise à chaque édition.

Sur scène, c’est d’abord Claudia Marsicano qui ose. Plus précisément, selon la volonté de la chorégraphe, c’est une certaine r. qui ose. Un personnage. Mais comment distinguer entre la Marsicano et une r., qui n’a été inventée que pour la beauté du geste lexical ? En italien, une r. qui ose, ça donne r.osa. Le personnage a donc un vrai prénom, et il pourrait s’agir d’une sorte d’alter ego de la chorégraphe. Car ce solo, Silvia Gribaudi l’a conçu pour cette comédienne et performeuse qui trompe toutes les projections que nous pourrions porter sur son corps. Être plus Botero-style que la chorégraphe elle-même, est-ce vraiment possible ? Ça l’est, et Marsicano prouve que l’abondance faite chair peut être un atout, même pour des exercices d’aérobic. Quand l’Italienne embarque le public dans quelques joutes des bras et des bustes, tout le monde y va et fait partie de la performance. Ce qui rend chaque représentation unique et non reproductible. Donc : Mme r. ose, et elle a pleinement raison.

Ruth Childs aussi sera à Uzès. Dans Blast ! [lire notre critique] elle expl.ose. Un solo aussi, et un titre qui renvoie à une déflagration. Avec son cri muet qui déchirerait le plus épais des brouillards sonores, avec son agonie qui renvoie aux pires souffrances à endurer en rendant l’âme, avec des textes qui évoquent la guerre et peut-être le viol ou bien en se glissant dans le rôle d’une divinité guerrière qui répand la terreur, cette femme au corps fragile intrigue de bout en bout – jusqu’à mettre le spectateur dans une position de voyeur. Pas de malaise cependant, mais de l’admiration pour la nièce de la célèbre chorégraphe new yorkaise.

Léa Leclerc, elle, s’exp.ose. Dans la vitrine d’un magasin de céramique ! Le titre de son solo est Like me, et on peut bien sûr en faire deux lectures : « comme moi », ou « aime-moi », et bien sûr clique-moi. Son sujet : Les influenceuses qui pullulent sur les réseaux sociaux et publient leurs selfies. Leclerc grimace, Leclerc (p)ose. Et dans une vitrine, son racolage entrera directement dans le quotidien de la ville, interpellant chacun sur l’image qu’on construit de soi et le rôle qu’on se crée au sein des autres.

Alors, comme par hasard, une manif’ pourrait passer par là. Une manif heureuse qui le serait encore plus si Marsicano en était. Mais même sans elle, David Rolland prévoit une « impertinente déambulation », casque sur les oreilles, pour revisiter trente ans de festival de danse à Uzès. Oui, trente ans qu’Uzès ose la danse. « L’histoire du festival est une joyeuse bataille », nous dit-on en référence à la Happy manif. Un oxymore ? Il est vrai qu’habituellement on manifeste plutôt sa colère. A Uzès on pourra manifester contre la sinistr.ose.

Un univers fantomatique et poétique et une fantaisie navale, voilà ce nous promet Marion Carriau qui crée à Uzès L’Amiral Sénès, une sorte d’entreprise iconoclaste vis à vis de la figure du héros, en l’occurrence appartenant aux forces navales. Jusqu’où ira-t-elle ? Osera-t-elle couler le navire ? Une création placée sous une « atmosphère épaisse et embrumée ». Secret défense, en quelque sorte. Une seule indication : Il s’agirait d’un aïeul dont on ne sait presque rien Et d’une odyssée à travers des danses oubliées !  

De Mallika Taneja, personne n’osera dire qu’elle se rep.ose. De festival en festival, entre Rencontres chorégraphiques et Marseille, la voilà à Uzès, cette fois avec harmonium, un micro, des objets de son enfance et des marionnettes. Et avec un solo sous forme de question : Do you know this song ? Femme de théâtre et performeuse travaillant à Delhi, Taneja élève sa voix pour dénoncer la situation des femmes et les violences qu’elles subissent. A tout cela, elle opp.ose sa force artistique. Ici cependant, elle se positionne plutôt dans la douceur d’une introspection où elle donne vie à des figures féminines qui l’entourent dans la vie. Ce faisant, elle creuse aussi l’histoire de son pays.

Quant à Myriam Soulanges, elle décomp.ose son identité de Guadeloupéenne. Se met dans un large manteau pour faire abstraction de sa couleur de peau, mais pas de son féminisme créole. Son solo, elle l’appelle Cover, en allusion au détour vestimentaire mais aussi aux versions « cover » de tubes musicaux. Mais ce n’est peut-être qu’une allégorie des versions de soi-même qu’on cultive dès l’enfance, quand on doit demander à son père : « Papa, tu réponds quoi quand on te demande d’où tu viens ? » Une, question qui s’imp.ose.

En Ukraine, les problèmes des femmes sont d’autre nature, probablement. Enfant de Dniepropetrovsk au centre du pays (aujourd’hui Dnipro), Olga Dukhovnaya devrait en savoir quelque chose, même si elle vit et crée en France depuis longtemps. Son sujet est ici une danse ukrainienne, le hopak (gopak). Pas fictive, mais si adaptée et récupérée par le régime soviétique au fil des décennies que sa version originale est devenue mystérieuse. Et maintenant Hopak est le titre d’un spectacle qui cependant ne prétend pas reconstituer cette danse ayant appartenu à la culture ukrainienne. Dukhovnaya et son partenaire, tous les deux danseurs contemporains, accompagnés d’un accordéoniste, s’emparent d’éléments multiples. Ensemble, ils comp.osent un hopak nouveau, post-soviétique, et une part d’identité ukrainienne, nouvelle et libre.

Aina Alegre, la Catalane, n’est pas non plus sans oser des choses. Par exemple, un duo avec Yannick Hugron. La conséquence : On voit ici sur scène la direction complète du Centre chorégraphique national de Grenoble. Ce qui plus est, on les voit approcher la danse basque, dans Etude 4, Fandango et autres cadences. Donc, non seulement Alegre est la première à prop.oser inclure un interprète dans la direction d’un CCN, mais en plus elle visite le territoire basque pour en métamorph.oser la danse traditionnelle.

Et puisque Uzès est libre, la danse ose la rencontre. Et c’est magique. Pour Garden of chance, Christian Ubl, chorégraphe d’origine autrichienne, s’associe à Kurt Demy, magicien et mentaliste belge. Et la danse se métamorph.ose. Là-dessus, on nous annonce Queen Blood du regretté Ousmane Sy aka Babson aka Baba, avec sept danseuses hip-hop-afro-contemporaines résolument vir-tu-oses. Et avec le succès que l’on sait et qui ne se dément pas, depuis maintenant cinq ans.

Thomas Hahn

Festival La Maison Danse, Uzès, du 5 au 9 juin 2024
https://www.lamaison-cdcn.fr

Photo de preview : L’Amiral Sénès de Marion Carriau © Pascale Cholette

 

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