Extradanse 2018 à Strasbourg : Chaleurs d’avril
L’Afrique, l’Italie du Sud et le monde arabe sont au cœur du festival organisé par Pôle-Sud.
La danse est un art, mais aussi un vecteur de conscience concernant l’état du monde. La guerre, le choc des civilisations, le viol et autres violences sont au cœur d’une édition d’Extradanse qui met le cap sur les régions extra-européennes et interroge les relations que l’Europe entretient avec elles.
Salia Sanou [lire notre critique] et Mitkhal Alzghaïr [lire notre entretien] parlent, concrètement ou par métaphores, de la migration qui résulte des guerres sue lesquelles l’Occident ferme les yeux, comme pour ne pas être confronté à sa responsabilité.
Dorothée Munyaneza apporte dans Unwanted [lire notre critique] le point de vue féminin sur les violences dans son pays d’origine, quand la barbarie s’abat sur les femmes. Quel est le sort réservé à celles qui deviennent mères contre leur gré, quand un peuple utilise le viol de masse pour soumettre voire éradiquer un autre? Comment vivent ces femmes, souvent exclues dans leurs propres sociétés? Dorothee Munayneza est allée à leur rencontre au Rwanda, mais Unwanted, sa dernière création, lève le voile sur toutes les femmes victimes de viols de guerre.
Robyn Orlin [lire notre critique] travaille tout autant à des prises de conscience, concernant la société sud-africaine, mais aussi l’Europe et ses réalités. Avec And so you see... our honorable blue sky and ever enduring sun... can only be consumed slice by slice…, elle présente ici Albert Ibokwe Khoza, performer, chanteur, danseur, acteur si fascinant et dévastateur que tout autre danseur aura l’air bien sage, face à un telle attaque contre toutes les conventions, qu’elle concernent le spectacle scénique européen ou l’Afrique du Sud, pays d’origine des deux.
Le pays le moins violent à visiter pendant Extradanse est sans doute la Kalakuta Republic de Serge-Aimé Coulibaly [lire notre critique], si ce n’est l’Italie de Weaver Quintet d’Alexandre Roccoli, qui part des gestes du métier de tisserand et du tarentisme, lui-même un tissage de crises de folie, d’érotisme et d’un bestiaire composé d’araignées, de serpents et de scorpions.
Il vaut mieux ne pas être né à Kalakuta, car un tel passeport ne vaut pas cher aujourd’hui. Il s’agissait en fait de la demeure de Fela Kuti, violemment saccagée par les troupes du régime Nigérian, envoyant Kuti, ce virulent défenseur des droits civiques en pleine dictature, tout droit vers une détention non moins violente. La pièce de Coulibaly ressuscite l’ambiance utopiste et libertaire, dans un salon où l’on danse et chante contre le sort qui frappe à la porte.
Pour résumer tous les antagonismes qui transforment le potentiel de danser ensemble en séances plus ou moins violentes, ayant pour intention soit de détruire ou de pérenniser la coexistence des sexes et des civilisations, Extradanse dégaine le duo Omar Gayatt/Yan Duyvendak avec Still in Paradise.
Où le titre est d’une sombre ironie face au prétendu « choc des civilisations », lequel, bien sûr, se réalise d’autant plus qu’on en parle, puisqu’il correspond à un besoin inconscient des hommes (et c’est peut-être moins vrai pour les femmes) d’en finir avec une humanité qui ne sait plus à quoi elle aspire.
Still in Paradise rebondit sur Made in Paradise, grand succès de Gayatt et Duyvendak, et commente, avec ironie et autodérision, l’impossibilité grandissante à considérer un concitoyen issu de la civilisation « opposée » sans voir en lui une sorte de serpent, de violeur potentiel, d’ennemi fatal ou d’agent au service d’une dictature future.
Aussi cette nouvelle édition d’Extradanse ressemble-t-elle à un inventaire des relations Nord-Sud, sur fond de traditions comme la Tarentelle italienne ou le dabke syrien, les gestes des tisserands et les nouvelles formes qui émergent et revendiquent les libertés civiques, comme l’afro-beat de Fela Kuti.
De Kalakuta à la Rainbow Nation, Extradanse 2018 est un festival de danse républicain, tourné vers l’extérieur et l’alternité.
Thomas Hahn
Du 5 au 19 avril Festival Extradanse - POLE-SUD, CDCN
Image de preview - Serge-Aimé Coulibaly © Doune photo
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