« Dogs [Nouvelles du parc humain] » de Michel Schweizer
Pas de chiens, mais une meute de jeunes qui ont « du chien » ! Tel est Dogs, la nouvelle création du chorégraphe et metteur en scène qui met à vif les corps à La Manufacture, CDCN de Bordeaux – Nouvelle Aquitaine.
Côté Aquitaine, à la Manufacture de Bordeaux, Michel Schweizer œuvre, comme à son habitude depuis près de vingt ans, avec la jeunesse. Pas exactement à la manière d’une Josette Baïz qui, avec des ensembles d’enfants, d’ados et de post-ados pratique la danse contemporaine côté PACA. Ici, la « communauté provisoire » est celle de danseurs émergents issus de l’institution (CNDC d’Angers et autres CNSMD) qui nous démontrent, par intermittence, qu’ils dansent à merveille et qu’ils sont également aptes à s’exprimer vocalement. Dogs est une analyse ou une autoréflexion qui porte précisément sur leur jeune maturité.
Nommons par ordre alphabétique nos artistes polyvalents : Alexandre Blais, Éléna Lecoq, Stanley Menthor, Inès Perron et Louise Phelipon. Avec Michel Schweizer, concepteur, directeur et scénographe, ils interprètent et/ou incarnent une version dansée de ce qui pourrait s’appeler Six personnages en quête de choré-auteur. Un mélange d’un peu plus d’une heure de fiction et de réalité qui relève du Fake, au sens où l’entendait Orson Welles dans Vérités et mensonges (1973), qui n’est pas du même registre que celui du père Ubu gouvernant aujourd’hui l’Amérique. Dogs n’est ni un drame, ni un mélodrame, même si la réminiscence du premier baiser émeut, pour de vrai ou pour de faux, la danseuse Inès.
La pièce est-elle pour autant un psychodrame ? Disons qu’elle tient selon nous du happening et de la performance. Ne serait-ce que parce que les protagonistes sont désignés par leurs prénoms véritables. C’est un jeu de société qui repose justement sur la schize du personnage (de la personnalité) et de la persona. Un jeu des quatre coins balisés par des tabourets ou des chaises musicales sur lesquelles les artistes ont le loisir de se poser. Les spectateurs, tri-frontalement répartis sont appelés, pour certains, à participer en lisant au micro une question sous enveloppe. Une des consignes du metteur en scène à ses interprètes a été qu’ils lui confient le journal intime qu’est de nos jours un smartphone pour un « profilage des données personnelles ». Éléna nous dit avoir refusé de se soumettre à cette règle.
Galerie Photos © Hélène Marx - Frédéric Demesure
Pour mettre au point le spectacle, sept semaines ont été nécessaires, ce qui serait beaucoup s’il s’agissait simplement de laisser le champ libre à l’impromptu mais paraît peu pour les danseurs-acteurs comme pour le chorégraphe. Nul doute que la pièce, qui est d’ores et déjà réussie, plaisante à voir (grâce aux modulations de lumière d’Éric Blosse) et à entendre (via les micros HF utilisés par Nicolas Barillot), va se bonifier, se développer, s’intensifier avec le temps. Un peu comme dans le Tanztheater de la regrettée – et irremplacée – Pina Bausch, les traits psychologiques, les qualités techniques, les dons de chacun sont exploités. Alexandre y va de sa jongle à la baguette façon majorette (art du twirling), Stanley revit son audition à au Béjart Ballet Lausanne et nous gratifie d’une variation classique dans le genre de celle du Corsaire. Les trois filles alternent ou superposent leurs confessions publiques.
Michel Schweizer se réfère au philosophe sud-coréen Byung-Chul Han et évoque « une société des singularités dans laquelle, paradoxalement, le singulier véritable » n’apparaît pratiquement pas. Il a souhaité réunir de singulières personnalités ayant leur propre langage chorégraphique capables « d’affirmer leurs points de vue sur le monde commun ». L’objectif, à cet égard, est atteint. Tout se termine par une chanson, comme il se doit. Celle-ci, choisie par Inès Perron, interprétée par elle au tout début, enrichie canoniquement, polyphoniquement par ses camarades de jeu, est la ballade I Don’t Want to Set the World on Fire (1938) de Bennie Benhamin, Eddie Durham, Som Marcus et Eddie Seiler, popularisée en 1941 par le quatuor vocal afro-américain The Ink Spots. Le sextuor de la compagnie La Coma a été rappelé à plusieurs reprises.
Nicolas Villodre
Vu le 27 mars 2025 à la Manufacture CDCN Nouvelle-Aquitaine, Bordeaux.
Tournée :
Les 2 et 3 avril 2025 : Le ZEF, scène nationale de Marseille ; les 10 et 11 avril 2025 : Scènes de territoire, Bressuire ; le 17 avril 2025 : TAP Poitiers ; 2026 (date à préciser) : 104, Paris.
Catégories:
Add new comment