Des plaisirs de la découverte au Ballet de Lorraine
Le dernier programme de saison du Ballet de Lorraine permettra de découvir enfin les talents de chorégraphe interprète du directeur artistique de l'ensemble sis à Nancy.
Il faut quand même s'en souvenir. Quand, au tout début de la décennie, fut annoncée la nomination de Petter Jacobsson à la tête du Ballet de Lorraine, on n'arrivait même pas à trouver mention de sa personne sur Internet. C'est qu'on n'avait jamais eu l'idée d'écrire "Petter" avec deux "t". Ni "Jacobsson" avec deux "s". Comme en Suède. Et on n'avait qu'une très vague idée, voire aucune, de l'existence de cet artiste chorégraphique.
Mais son projet d'aggiornamento d'un ballet contemporain de répertoire nous séduisirent. Au comble des expérimentations, on n'oubliera jamais, sur une place Stanislas confite dans l'affligeante ambiance des Noël de rues commerçantes, l'installation-performance provoquée par le nouveau directeur : soir après soir, de rudes féministes scandinaves entraînèrent des dizaines de leurs sœurs de Lorraine à fendre d'épaisses bûches de sapin, entre deux rasades de vin chaud.
Le public du cru, les élus, mais aussi une bonne part des danseurs de la formation restèrent plus dubitatifs. Le nouveau directeur aura été contraint de freiner sur la route des audaces esthétiques. Mais le Ballet de Lorraine est resté l'un des lieux du paysage chorégraphique hexagonal où il est toujours susceptible de se passer quelque chose.
La saison 2016-2017 qui s'achève aura été fort parcimonieuse en nombre de projets. Mais elle aura débuté de manière épatante avec son programme Des plaisirs inconnus. Cinq chorégraphes y furent invités à composer cinq courtes pièces originales. Or on ne sait toujours pas qui ils étaient. Dans ce secret entretenu, fallait-il y voir un simple clin d'oeil malicieux ? Au contraire une docte approche théorisée de la question de l'auteur ? En tout cas, on vit un spectacle où tout respirait une liberté stimulante. En littérature, on connaît la tactique de certains écrivains qui en passent soudain par un pseudonyme de circonstance, pour s'autoriser un moment d'essai formel en rupture avec les habitudes de leurs lecteurs. Il y eut de cela dans l'invention de ce programme en danse, et les interprètes du Ballet en semblèrent tout autant galvanisés.
Retrouvera-t-on autant de fraîcheur pour conclure cette fois la saison, avec le programme Les plaisirs de la découverte ? Quelle qu'en soit la forme sur le plateau, on y décèle d'emblée un autre genre de rareté. Petter Jacobsson lui-même y sera chorégraphe de Record of Ancient Things, l'une des deux pièces créées à cette occasion (et il le sera en co-signature avec son partenaire Thomas Caley). Or, six ans après son arrivée à Nancy, jamais Petter Jacobsson n'avait saisi l'opprotunité de ses fonctions de directeur artistique pour se mêler de diriger directement au plateau. A vrai dire, alors qu'on a des occasions de voir évoluer Thomas Caley, jamais cela ne s'est produit concernant Jacobsson.
Le parcours de celui-ci s'initie dans la source classique du Sadler's Wells Royal Ballet londonien, avant de bifurquer vers les effervescences new-yorkaises des années 80 (particulièrement comme interprète de Twyla Tharp), et d'effectuer un retour à Stockholm, pour une direction fracassante d'innovation, et vite sanctionnée par éviction, au Ballet Royal de Suède. A cet épisode tumultueux on doit la création de la pièce Rose, par Mathilde Monnier. De son côté, Thomas Caley est surtout repéré comme ex premier danseur de la compagnie de Merce Cunningham.
En paire, tous deux annoncent leur intension d'examiner tous les éléments qui composent le paysage de la scène, public compris, et dans une approche architecturale, « comment la danse habituelle des corps peut être altérée ». Voilà qui vous a son parfum de déconstruction, bien contemporain, mais par deux individus qu'on n'a jamais sentis comme fondamentalement tristes. Du reste, ils nous avertissent aussi que c'est à prendre à la façon d'une « conversation à bâtons rompus », sans qu'on sache « où cela peut conduire ». Franchement, on se laisse plutôt attirer par cette intention de faire jouer « les comportements contradictoires de la comédie humaine ».
Rachid Ouramdane signera Murmuration, la seconde pièce figurant au programme de ces soirées. Il l'annonce très clairement comme une poursuite du travail qu'il a engagé avec succès auparavant au côté des très grands effectifs d'interprètes du Ballet de l'Opéra de Lyon pour sa pièce Tout autour, puis dans Tenir le temps. Fondamentalement, le chorégraphe directeur du CCN de Grenoble assure qu'il est animé, dans ces formats géants, du souci de faire jouer les indentités individuelles en articulation sur les identités collectives, qui lui a inspiré par ailleurs des approches plus expérimentales, ou intimes. Mais toujours politiques.
Rachid Ouramdane use de la très jolie expression d'écriture « faussement brouillonne », pour caractériser ces grandes formes proliférantes, ultra rigoureuses, alors même que tout paraît y échapper au regard, dans l'urgence, l'accélération, et le foisonnement hétérogène d'actions (pour reprendre ses propres termes, en susbtance).
Gérard Mayen
Les plaisirs de la découverte. 29, 30 juin, 1er juillet, 20h. 2 juillet, 15h. Opéra de Nancy.
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