« Dancers », un film à voir
Dancers sort sur les écrans le 27 mai 2015. Un film sensible sur des aspirants danseurs norvégiens de Kenneth Elvebakk.
Les films documentaires sur la danse sont à la mode depuis quelques années. Qu’il s’agisse de La Danse de FrédéricK Wiseman qui faisait un (long) tour dans les coulisses de l’Opéra de Paris (2009), des Rêves dansant (2010) où Anne Linsel et Rainer Hoffmann filmaient la reprise de Kontakthof de Pina Bausch par de jeunes adolescents, ou même du Pina de Wim Wenders, qui tous ont compté plus « d’entrées » que prévu. Dans un genre très proche, les films de danse qui suivent un ou plusieurs candidats pendant un concours sont également prisés du public car, en plus d’un regard sur l’adolescence, ils offrent du suspens et de l’émotion : Passera ? Passera pas ? Jig (2011) de Sue Bourne qui suivait des candidats à des concours de danse irlandaise et Le Concours de danse (2012) de Bess Kargman qui pistait six candidats du Youth America Grand Prix en offraient de parfaits exemples.
Dancers du Norvégien Kenneth Elvebakk est une sorte de mélange de ces deux modèles. Plutôt que de tendre tout le scénario sur l’issue d’une compétition, il a choisi de suivre le quotidien de trois jeunes danseurs, Lukas, Syvert et Torgeir pendant quatre ans, épreuves et concours compris. Du coup, plutôt qu’un film de danse, ou sur la danse, il a réalisé un très beau documentaire sur des adolescents qui ont choisi la danse mais la vivent avec son cortège de doutes, d’incertitudes, mais aussi de rigolades et d’insouciance que partagent la plupart des jeunes qui doivent, à un moment ou à un autre, décider de ce que sera leur vie. Bien sûr, dans les carrières artistiques ce choix intervient plus tôt, mais les réflexions de ces trois garçons pourraient concerner n’importe quel jeune qui a une passion.
De ce fait, Kenneth Elvebakk insiste moins sur les clichés attachés à la profession, les rivalités, la discipline, la difficulté de l’entraînement, les affres des concours et montre la danse sous un jour ordinaire. Même si, bien sûr, apparaissent en filigrane le stress des auditions et des concours, la difficulté physique et mentale de ce métier à haut risque, la recherche de la perfection. Toujours est-il que ce film a le mérite de montrer la danse certes comme une matière d’excellence, mais pas plus que ne peuvent l’être des études difficiles et sélectives. Et même, on s’y amuse sans doute davantage et les camaraderies y sont sans doute plus solides. On y aborde tous les aspects liés à cet enseignement, y compris les questions financières ou le dilemme concernant la poursuite des études ou le choix définitif de devenir danseur professionnel. Comme le film n’est pas caricatural, on s’attache davantage à ces trois portraits.
Voilà qui tranche de la vision de la danse donnée au public où ce n’est plus de la compétition mais de la rage, où les pointes sont des instruments de torture masochistes, où les danseurs souffrent en silence… Car oui, le monde de la danse a changé. Il n’est plus celui de filles d’une méchanceté et d’une perversité insensées menées par leurs mères, et de garçons tout aussi odieux. Même si on ne peut nier qu’il existe encore quelques spécimens de ce genre, en tout cas ce n’est plus la règle. Et quant au regard sur les garçons qui veulent devenir danseur, on est dans le post Billy Elliott.
Le film aurait-il été différent si le réalisateur avait choisi de suivre des filles ? Peut-être, tant il est vrai que la sélection et la compétition y sont encore plus rudes, le nombre de candidates étant dix fois supérieur.
Kenneth Elvebakk raconte qu’« En réalisant ce film, je souhaitais casser les préjugés et aller à l’encontre des clichés sur le ballet qui devrait être une activité réservée aux filles ou aux homosexuels. Je voulais mettre en exergue la ténacité demandée à ces jeunes gens pour devenir des danseurs professionnels, montrer que la danse classique n’est pas une question de genre ou d’orientation sexuelle, mais une question de talent, de travail, de pugnacité, de soutien de ses proches et surtout de combats quotidiens pour trouver son identité et imposer sa singularité.
Afin de raconter cette histoire, je me suis immergé dans le quotidien des garçons qui ont oublié assez vite la caméra et se sont dévoilés peu à peu au gré de leurs échanges. Ma méthode de travail s’est inspirée des documentaires de Nicolas Philibert et de Margaret Olin. Leur approche m’a beaucoup guidé pour aller au plus près des défis émotionnels de chacun de mes personnages. Il aurait été à priori plus simple de filmer seul avec une petite caméra mais il m’a paru important de m’adjoindre la collaboration d’un opérateur photo pour laisser la part belle au ballet et filmer des longues séquences de danse, capter la beauté du geste.J’ai pensé ce film comme un conte, un rêve qui devient réalité pour Lukas, Syvert et Torgeir. ».
Et nous pensons qu’il y a parfaitement réussi.
Agnès Izrine
Sortie : 27 mai 2015
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