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« Coline Bach, Cantates et passion », par Thomas Lebrun pour le Groupe Coline

Un spectacle de jeunes danseurs en formation… Loin de la commisération que l'on pourrait supposer, l'expérience a bien souvent montré qu'il y avait là de très grandes émotions de danse tant ces apprentis ou presque professionnels s'investissent particulièrement. Ceux de la formation Coline sont coutumiers de ces moments où une certaine fraîcheur modeste d'interprétation témoigne et magnifie les styles de chorégraphes invités. Ici, démonstration avec un habitué du genre, Thomas Lebrun qui a livré à cette « jeune garde » un petit joyau formidablement serti dans une interprétation impeccable.

Fondée il y a vingt-cinq ans par Bernadette Tripier qui y officie toujours, implantée à la Maison de la danse à Istres, Coline est une formation du danseur interprète. En deux ans, elle propose à une grosse dizaine de jeunes issus des grandes écoles de danse (les Conservatoires par exemple) de les accompagner vers la voie professionnelle et, pour ce faire, s'adresse à des chorégraphes qui leur proposent des œuvres. Coutumier de l'exercice, Thomas Lebrun n'a pas pioché parmi les siennes un extrait qu'il aurait transmis en l'adaptant, il a développé une chorégraphie spécifique, une création d'une demi-heure qui possède une puissance et une cohérence remarquable parfaitement dans le style de son auteur.

Après Magnificat (2013), Emportés (2015), Danser avec Nusrat (2017) et Coline Pop Love (2019), toutes des pièces très singulières, ce nouvel opus est donc la cinquième rencontre avec la formation, ce qui fait du chorégraphe directeur du CCN de Tours l'un des fidèles de Coline. Il en écrivait, à propos de Magnificat, « ne pas partir de quelque chose de défini. C'est tout l'enjeu que permettent ces rencontres singulières, entre un chorégraphe et de jeunes danseurs qui ne se connaissent pas. Ainsi, le temps d'une courte création, chercher le dialogue instinctif entre leurs parcours et le mien, valoriser la création qui surgit de cette rencontre, d'échanges brefs mais moteurs et de transmission simple qui ne pourra qu'exprimer et traduire mon goût pour l'écriture chorégraphique et la place de l'interprète dans mon travail. » Le présent opus répond à la lettre à ce programme et vaut démonstration d'une science de la composition de plus en plus affinée autant que de l'importance des danseurs dans la structuration de chacune des pièces. En somme, une manière de manifeste sous forme d'un exercice, soit exactement ce que les compositeurs, Chopin ou Debussy par exemple, appliquèrent avec leurs Etudes… Or, tous les musiciens en conviendrons, pour l'étude, il faut revenir à Bach ; donc Cantates et Passions !

Galerie photo © M Barret Pigache

Ainsi, cela commence comme, disons, une pièce de Thomas Lebrun. Entrant en file, dans le silence, les danseurs rejoignent le banc qui court le long du fond de scène, et l'évidence est là : c'est bien d'une pièce du dit Thomas qu'il s'agit. Les costumes déjà, dans cette façon de mélanger attributs masculins et féminins, complètement noirs certes, mais sans négliger ce petit quelque chose de détail qui « pimente ». Une transparence, un découpé, un rien. La marche, concentrée ; ils s'assoient avec gravité ; l'un se lève dans le silence... La musique s'élève. Cantate n°21 de Bach, Ich hatte viel Bekümmernis (J'ai tant de peine). La pièce se déroule en un enchaînement de variations faisant la part belle aux individus. Solo ou duo et trio dialoguant avec le groupe, tantôt statique, au fond, assis, ou occupant l'espace ; impressionnant moment d'investissement de toute la scène par un quinconce en tutti avant de se résoudre en petits ensembles, ce qui valorise les talents assez singuliers de ces étudiants et la logique de composition absolue du chorégraphe.

Ainsi, exemple de cette subtilité de structure, une très émouvante ligne chorale serpentant sur le plateau, animée par un travail de port de bras extrêmement individualisé, finit, sans que l'on perçoive vraiment par quelle succession de légers décalages, en une double ligne alternée de danseurs qui descendent le plateau avant d'en occuper le front avec une intensité bouleversante. Même les instants laissés au choix des interprètes deviennent, de réglages subtils en affinage des orientations, par se construire sur des seizièmes de cercle aussi redoutables de précision que complexes à décider en l'instant… Du pur Lebrun dans lequel les aficionados, il y en a au moins un dans le présent signataire, reconnaîtront des éclats de pièces anciennes, mais surtout l'expression d'un style dans lequel se coulent avec un plaisir communicatif les danseurs. 

Et tandis que succède à la n°21, la Cantate n°170 puis quelques airs de La Passion selon Saint-Matthieu, les interprètes achèvent leur conquête du plateau et se répartissent des deux côtés de l'espace. Ils s'engagent, posent une gestuelle qui sera la dernière car, l'un après l'autre, ils sortent, laissant l'espace vidé et un vague sentiment de plénitude autant qu'un parfum de mélancolie… L'on se prend à souhaiter le pendant de cet opus, celui consacré au Bach cru, charnel, celui de la Cantate du café, celui du père de vingt-et-un enfants, qui répondrait à celui-là qui vient de montrer sa subtile langueur métaphysique. Ce qui s'accorderait assez aux facettes multiples du ci-devant chorégraphe décidément complexe lui-aussi. 

La seconde partie du programme proposait Score de Joanne Leighton, concentré du People United (2021) de cette chorégraphe et dont nous avons traité récemment par ailleurs (lire notre critique) et qui confirme à la seconde vision tout le bien que nous en pensions à la première. 

Philippe Verrièle

Vu le 11 juin au CCN de Tours dans le cadre du festival Tours d'Horizons.

 
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