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Biennale du Val-de-Marne : « Zonder » d'Ayelen Parolin

Trois clowns chorégraphiques, pris dans le vertige de la valse. Et tant pis si autour d'eux tout s'effondre...
Jusque-là, tout était : Simple. Dans cette pièce, amusante et très prisée, Ayelen Parolin mettait en scène trois énergumènes dans une innocence enfantine. Bricoleurs de leurs propres mouvements, ils s'amusaient, sans doute sans le savoir, du modèle chorégraphique et esthétique de Merce Cunningham. Un retour à l'enfance en quelque sorte.
Après la création de Simple, la Bruxelloise (d'origine argentine) n’a pas hésité à poursuivre l'aventure, en version augmentée puisque dans Zonder, la figure du trio se veut plus burlesque et clownesque encore. Ils ont élargi leur répertoire et gagné en détermination. Naomi Gibson ouvre le bal, quasiment en ballerine. Mais dès le départ, ses pas grotesques se désintègrent, comme les carrousels et autres réminiscences ballétiques de ses camarades masculins. Bref, rien ne leur résiste. Mais ils savent aussi s’amuser et faire la fête quand chez chacun, les épaules s'agitent comme en boîte de nuit.
Le clown rouge aussi en prend pour son grade. Dans leur esprit loufoque et malicieux, ces trois-là semblent sortir des rêves surréels de Tania Carvalho dans Oneironauta  [voir notre critique]. Sauf que chez la Portugaise, les trolls de l'histoire de la danse se manifestaient en pleine nuit. Chez Parolin, tout se déroule de jour, dans une boîte blanche. Et si l’on se demande à quelle fin elle a fait installer un plancher blanc sur le plateau, la réponse arrive avec fracas, sans crier gare : Pour le faire craquer, bien sûr ! Tout est à double fond, dans Zonder, mot qui signifie "sans", en flamand. Zonder, comme « sans titre », « sans raison » ou peut-être « hors catégorie »... Comme pour une sorte de manifeste dadaïste, chorégraphique et clownesque.

 

Zonder, pas si Simple
En construisant son rapport avec le monde, Zonder  prend effectivement des airs nettement plus politiques que Simple. Le fond qui s'effondre, ce n'est pas seulement le sol ou le mur blanc, avec les éclats de plâtre qui volent à travers le plateau. C'est la valse qui vrille de façon de plus en plus vertigineuse, et avec elle Le Beau Danube bleu  tout entier.
« Eins, zwei, drei, vier... » : Le bal annuel à l’Opéra de Vienne semble ici être le modèle, plus radicalement déconstruit que tout ce que les Marx Brothers auraient jamais osé. Piet Defrancq, Naomi Gibson et Daan Jaartsveld dansent sous les injonctions assénées comme par la voix d'un officier autrichien en état d’ivresse. Ce qui reste néanmoins plus redoutable que chez un commandeur de bal antillais. Mais la mécanique disjoncte rapidement : « Eins, zwei, drei, sieben » ou « eins, zwei, drei, fünf »…

Galerie photos © Stanilav Dobak

Le bal aristocratique viennois n’est pas seulement un événement mondain, mais un modèle de société, éminemment conservateur. Où l'on danse en queue de pie, voire en uniforme. Dans Zonder, ces accoutrements se résument à des corps à moitié dénudés et soudainement affublés d'éléments d'uniforme fantaisistes et burlesques dont presque tout leur a été arraché. Et pendant que tout s'effondre autour d'eux – par leurs propres soins par ailleurs – les trois officiers, déchus comme des anges, continuent à danser sans vergogne, comme s'ils se trouvaient sur le Titanic.
S'ensuivent une grande finale vertigineuse et des saluts comme au cirque. Le show a fait son office, la valse s'est auto-détruite. L'imprévisible l'a emporté sur le modèle et les normes. Le monde est à reconstruire. En mieux. Ayons confiance : Tout ira à merveille si ces trois-là s'y engagent avec leur force et leur maîtrise du corps, qui est exceptionnelle, mais il fallait bien ça pour être encore debout après un tel périple.

Thomas Hahn

Biennale de danse du Val-de-Marne
Vu le 22 mars 2025, Théâtre Silvia Monfort

Un projet de : Ayelen Parolin
Créé et interprété par : Piet Defrancq, Naomi Gibson, Daan Jaartsveld
Collaboration artistique et création sonore : Julie Bougard
Direction technique, création et régie lumière :  Laurence Halloy
Scénographie et costumes : Marie Szersnovicz
Régie plateau et sonore : Gaspar Schelck
Dramaturgie : Olivier Hespel

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