Belfort : Le festival Via les Ailleurs
Des chorégraphes du monde arabe et du Burkina Faso tissent une toile dansante, autour d’Akzak de Fattoumi Lamoureux.
Avec Via les Ailleurs, le CCN Bourgogne Franche-Comté à Belfort dirigé par Héla Fattoumi et Éric Lamoureux propose un festival qui se décline en trois temps forts, en mai, juin et septembre 2021. Il présente les dernières créations, terminées ou en cours, de chorégraphes venant du Burkina Faso (Bienvenue Bazié), du Maroc (entre autres Taoufik Izzediou), de Tunisie (entre autres Mariem Guellouz et Cyrinne Douss) et du Liban (Omar Rajeh). Nous avons interrogé Éric Lamoureux au sujet de l’origine, de la nature et des perspectives de ce nouveau rendez-vous, organisé avec un grand nombre de partenaires, notamment la Saison Africa2020 de l’Institut Français.
Danser Canal Historique : Est-ce la première édition de Via les Ailleurs, comment s’articule-t-elle et est-ce qu’il y en aura d’autres ?
Éric Lamoureux : Le festival devait avoir lieu pendant une semaine, d’abord en novembre 2020, puis en mars 2021, et a été repoussé encore, jusqu’à ce que nous nous disions que ça n’avait plus de sens de continuer ainsi. Nous avons donc choisi de l’articuler sur plusieurs temps forts, pour éviter d’être obligés de finalement tout annuler. C’est donc pour nous aussi une occasion de présenter au public la vie du CCN. C’est la première édition, conçue à l’occasion de la Saison Africa2020. Ce rendez-vous a rencontré l’actualité de la compagnie Fattoumi Lamoureux et nous avons profité de cette constellation. L’agent déclencheur a été notre création Akzak et le festival se fait avec les chorégraphes venant des pays avec lesquels nous avons collaboré pour cette création, à partir d’un étoilement autour de certains interprètes de la pièce et d’autres artistes que nous avons croisés dans leurs pays d’origine. Tous les chorégraphes de Via les Ailleurs sont par ailleurs venus en accueil studio pour travailler sur leurs créations, et souvent les compagnies ont fait leurs créations lumière à Viadanse. Je ne sais pas encore si d’autres éditions pourront avoir lieu, mais nous voulons en tout cas inscrire plus fortement dans les missions du CCN une dimension de programmation. Nous allons pouvoir équiper notre salle d’un nouveau gradin, électrique. Cela permettra d’augmenter notre jauge à 210 places, avec des configurations plus petites de respectivement 170 et 80 places. Reste à trouver les financements auprès des collectivités pour combiner nos fonds propres et des fonds fléchés pour pouvoir programmer des spectacles.
DCH : Via les ailleurs est un titre qui nous renvoie aux bons souvenirs de votre festival Danse d’ailleurs, que vous aviez créé quand vous dirigiez le CCN de Caen.
Éric Lamoureux : En effet, nous sommes en quelque sorte rattrapés par nos centres d’intérêt. L’idée d’un nouveau festival est née il y a un an et demi, quand nous avons commencé à travailler sur l’idée d’Akzak [lire notre critique ] dont nous donnerons une représentation. Nous avons alors commencé une collaboration avec la ville de Belfort et le CDC La Termitière à Ouagadougou, dans une articulation entre les deux villes et le Fimu, le festival annuel de musique universitaire de Belfort, entièrement gratuit, qui rassemble environ 90 groupes de musique et 150.000 personnes dans toute la ville, pendant quatre jours. De la région, nous avons obtenu un fond de coopération qui nous a permis d’aller au Burkina Faso et d’inviter des artistes et un directeur technique. Ce sont des collaborations sur trois ans que nous avons articulées avec la création d’Akzak [lire notre entretien].
DCH : Vous collaborez ici avec Omar Rajeh de Beyrouth qui transmet certains événements de Via les Ailleurs sur sa plateforme internet citerne.live et présente aussi un spectacle.
Éric Lamoureux : Omar est quelqu’un que nous connaissons depuis un moment, une personnalité très structurante. Comme vous le savez [lire notre entretien avec Omar Rajeh] il a dû quitter Beyrouth et vit maintenant en France. Il va en effet relayer tous les spectacles de Via les Ailleurs sur citerne.live. Cela nous intéressait particulièrement en préparant Via les Ailleurs puisque nous ne savions pas si nous allions finalement pouvoir ouvrir les spectacles au public.
DCH : L’un des événements phare – il s’agit d’une vraie première – est une création autour des aspects politiques et coloniaux de l’ainsi-dite « danse du ventre », une chorégraphie de Mariem Guellouz qu’elle interprète avec Saâdia Souyah.
Éric Lamoureux : Cela fait longtemps que Mariem Guellouz travaille sur cette danse et nous allons présenter la première de sa performance, La Rue du Caire, qu’elle est venue répéter chez nous, à Viadanse, à plusieurs reprises. C’est une mise en perspective de ce qu’on appelle « la danse du ventre », avec ses enjeux politiques et sociétaux, un travail de désassignation pour redonner sa vraie valeur historique et artistique à cette danse et pour parler de cette Rue du Caire de l’Exposition Universelle de 1889 .
DCH : Une autre thématique qui résonne fortement est celle des frontières et de la double identité entre les deux rives de la Méditerranée, évoquée par Cyrinne Douss dans un solo intitulé I am not white dont elle présente une étape de travail, et par Taoufik Izzediou.
Éric Lamoureux : Border_line de Taoufik Izzediou questionne l’effet des frontières sur nos corps. Quelles traces y laissent-elles et comment pouvons-nous nous affranchir d’elles ? Dans ce spectacle on retrouve par ailleurs trois des interprètes d’Akzak. Border_line résonne avec I am not white où Cyrinne Douss aborde sa problématique personnelle, sa double culture. Le titre est assez rentre-dedans, mais c’est une belle maturité qui est en train de naître. Son travail est déjà bien avancé et elle vient commencer sa création lumières au CCN de Belfort.
DCH : Le festival présente aussi des films documentaires et des tables rondes, par exemple sur la danse dans l’espace public, un domaine où les enjeux ne sont pas les mêmes des deux côtés de la Méditerranée.
Éric Lamoureux : Nous profitons de la présence de Mohamed Fouad, chorégraphe égyptien qui travaille depuis longtemps dans l’espace public, mais travaille aussi en France avec la compagnie marseillaise Ex Nihilo qui crée des spectacles de danse dans l’espace public. Nous organisons une discussion ouverte sur les enjeux de la danse dans l’espace public, en France comme dans les autres pays partenaires, justement puisque la fermeture des théâtres attire l’attention sur cette pratique. Cette rencontre sera modérée par Frédéric Séguette, le directeur du Dancing, le CDCN de Dijon, qui est très expérimenté en la matière. Nous organisons un atelier pratique et une sortie chorégraphique dans les contreforts de la citadelle de Belfort. Cela fera circuler la danse et le public, tout comme certains concerts du Fimu qui auront lieu au CCN, où les interprètes d’Akzak vont animer plusieurs ateliers. Et il y aura un bal poussière. Donc nous danserons, ensemble !
Propos recueillis par Thomas Hahn
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