Avignon : La 44e édition des Hivernales
Sortir de la pandémie et retrouver le partage des expériences : Le CDCN avignonnais affiche un esprit vigoureux.
L’évasion, la rencontre, l’aventure sont au cœur de la 44e édition des Hivernales qui sera portée par l’espoir de sortir définitivement de l’épisode covid-19. L’évasion peut être une affaire intime et intérieure, comme chez Boris Charmatz qui siffle, on l’espère, la fin de tout confinement, avec Somnole, son tour d’horizon nocturne empli de bonne humeur [lire notre critique] et d’autodérision, où il va au contact du public, l’invitant dans ses rêves musicaux ou même à lui tomber dans les bras. Siffler et danser en même temps, c’est une façon plus organique que jamais de lier le mouvement et la musique sur un plateau ! Apparemment à l’opposé, se situe la conférence-spectacle de Jan Martens au sujet d’Elisabeth Chojnacka, claveciniste polonaise de génie qui a inspiré à de nombreux compositeurs des œuvres pour cet instrument baroque. Elisabeth gets her way est le titre de cette nouvelle création du chorégraphe belge.
Le grand format d’une telle incitation au voyage intérieur appartient à Emanuel Gat, Frank Micheletti et autres Wendy Cornu. Cette dernière ouvre le volet principal de cette édition au Théâtre Benoît XII avec la création de Volutes, où huit interprètes accomplissent une recherche commencée à Royaumont, au sujet de la polyphonie médiévale, entre contrepoint et unisson, dans la liberté d’improviser. En même temps, au Théâtre des Carmes, Nach affirme que Nulle part est un endroit, et donc partout en quelque sorte, poursuivant sur la route de sa belle complicité avec Les Hivernales, en revenant avec cette conférence dansée. Toujours artiste associée au CDCN, il lui appartient également d’orchestrer une partie de la dernière journée, dans le cadre d’une carte blanche. Elle y invite Flora Détraz avec Tutuguri, un solo où, comme chez Charmatz, le corps et le son ne font qu’un. Elle monte également sur scène aux côtés de Ruth Rosenthal, dans leur duo 7 vies, créé au Festival d’Avignon dans le cadre de Vive le sujet !
Expériences en patrimoine
A l’Opéra du Grand Avignon, fraîchement rénové, on fera un voyage dans le temps et dans l’imaginaire d’Emanuel Gat, grâce au formidable Lovetrain 2020, entre rock et baroque, Shakespeare et Renaissance italienne, sur les chansons de Tears for Fears, pour renouer avec le goût des utopies et de la liberté d’imaginer. C’est une façon de s’évader. Et il y en a d’autres. Frank Micheletti créé un événement spécial avec No Mundo où, à La Chartreuse, il investit les jardins, le cloître et la chapelle pour offrir, au-delà d’un spectacle, une expérience à vivre.
La dimension patrimoniale des Hivernales (on peut y inclure l’Opéra sur la place de l’Horloge) est particulièrement présente en cette édition, grâce à l’ouverture de l’Eglise des Célestins pour Passages de Noé Soulier [lire notre critique de la création à la Conciergerie de Paris] au bruit des baskets qui résonneront à travers l’architecture monumentale de l’édifice. Quand le partage d’un espace avec le public fait partie intégrante d’une proposition chorégraphique, on s’approche à chaque fois de l’idée d’une expérience commune. En ce sens, on suivra aussi Maxence Rey dans la Collection Lambert, belle bâtisse intra-muros et haut lieu de l’art contemporain. Rey adapte ici sous le titre de Passio.Passion, son trio Passionnément [lire notre critique] pour danser en solo, toujours accompagnée par le compositeur et guitariste Nicolas Losson.
Suspensions
Une artiste cependant pousse le bouchon plus loin encre, et c’est Mette Ingvartsen. Le titre dit tout : The Dancing Public. Car le public est effectivement invité à se joindre en toute liberté à la danse de la chorégraphe. Et on n’imagine pas un instant que cette proposition, qui commence en solo, puisse se terminer dans la même condition. L’inspiration vient de phénomènes qui ont défrayé les chroniques suite au trouble qu’on ressent en imaginant une foule commençant à danser hors contrôle, comme dans une transe collective. Et c’est là aussi une façon de renouer avec l’idée d’une vie normale, après des années de restrictions et de suspension de notre désir de vivre, dues à la pandémie.
La danse a, on le sait, ce pouvoir de transformation, voire de guérison mentale. Le programme du 10 février, par exemple, l’exprime bien, avec Rain de Meytal Blanaru, un vrai exercice d’écriture qui permet d’inventer le mouvement et de se réinventer [lire notre interview]. La dimension de l’intime traverse aussi les créations de Nacera Belaza, ici présente avec la quatuor Sur le fil et son solo La Nuit, deux propositions à la lisière de la transe, où la danse puise, dans les racines algériennes de Belaza, une dimension spirituelle et méditative, à la fois sensuelle et tellurique [lire notre critique], les danseuses étant comme suspendues dans le temps et les espaces mentaux et culturels. Cette idée de suspension se matérialise pleinement, concrètement chez Julie Nioche qui transmet son célèbre solo Nos solitudes à Lisa Miramond, où l’interprète est prise dans un réseau de fils lestés de poids qui révèlent le poids du corps autant qu’ils l’effacent.
Mais Les Hivernales, c’est aussi, à chaque édition, une série de stages – où on peut pratiquer cette année, entre autres techniques comme Feldenkrais ou Alexander, le krump (avec Nach), le butô (avec Maï Ishiwata), le flamenco (avec Ana Pérez) ou tout simplement « Habiter son corps passionnément » (avec, bien sûr, Maxence Rey). Et on peut y lire la danse, avec Books on the move, la librairie itinérante consacrée au spectacle qui s’installe dans les lieux du festival.
Thomas Hahn
Du 26 janvier au 12 février 2022
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