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Robyn Orlin et Jant-bi à Avignon
Robyn Orlin/Jant-bi : At the same time we were pointing a finger at you we realized that we were pointing three at ourselves…
“On va continuer la cérémonie…” Les chanteurs-danseurs de la compagnie Jant-bi ne laissent aucun doute sur le sens qu’ils donnent à cette soirée. C’est juste qu’ils le font en rigolant et qu’ils ont depuis longtemps un regard distancié sur leurs traditions.
Robyn Orlin aussi semble verser dans le second degré quand elle invente chaque fois un titre encore plus long que le précédent. En 2014 ça donne: At the same time we were pointing a finger at you we realized that we were pointing three at ourselves…
Galerie photo de Laurent Philippe
Ce doigt braqué sur l’autre, cet index dégainé, c’est par exemple celui qui pointe la population d’un continent soi-disant figé dans ses rites, et qui arrive ici à en rire avec le public occidental, et en allant au contact physique du festivalier.
Chez Orlin, c’est devenu une marque de fabrique : Si on veut, on trouve toujours un espace pour mettre le pied au milieu des spectateurs. Et si un jour, Robyn n’en profitera plus, on se demandera bien ce qui est en train de lui arriver...
Regardons plutôt ces huit garçons qui se mettent à chasser les mauvais esprits en faisant claquer leurs paires de tongs au bon milieu des gradins, comme s’ils chassaient des mouches au raz du nez d’une telle ou d’un tel. On doit bien étudier son Sartre, au Sénégal qui n’est pas un huis clos.
Rencontre au sommet
C’est au sud de Dakar que cette cérémonie déjantée a pris forme, et plus précisément à Toubab Dialaw, à l’École des Sables créée par Germaine Acogny et son fidèle mari Helmut Vogt. Et en effet, entre Germaine et Robyn, « les grands esprits se rencontrent ».
Il y a d’une part « la Pina Bausch de l’Afrique » qui a formé une troupe de danse-théâtre époustouflante, et d’autre part Robyn Orlin, artiste internationale avant d’être Sud-Africaine, qui appartient à Johannesburg comme Pina appartenait à Wuppertal, à savoir en tant que voyageuse revenant toujours au pays, pour y travailler à faire le lien entre les impressions engrangées et son univers empreint d’humour et de mélancolie.
Galerie photo de Laurent Philippe
De son côté, Robyn fait aujourd’hui le tour des ensembles de Pantsula, Hip Hop ou Sabar, en leur apportant son univers burlesque. Aussi, elle mène sa croisade pour le droit à la déconnade en danse contemporaine. Mais comme elle est sur tous les fronts, il n’est pas étonnant de noter que toutes ses batailles ne sont pas victorieuses. En revanche, chacune sera engagée avec du chien.
La rencontre avec les danseurs de Jant-bi est l’une des plus belles aventures orliniennes depuis longtemps. L’entente entre les deux univers est parfaite. Robyn est sans cesse en recherche autour des questions que les Anglo-Saxons résument sous l’étiquette « politics of the body »: le corps comme enjeu politique, également l’un des grands sujets chez les Acogny, qui eux aussi aiment le traiter par le rire.
Des tabous et des hommes
Afro-dites, leur dernière création, permet aux femmes sénégalaises de dire leur malaise face aux hommes, de pointer le machisme, le viol et autres sujets qu’elles ne peuvent aborder dans la vie quotidienne. En revanche, en travaillant avec les hommes de la compagnie, Robyn leur donne une sorte de droit de réponse, et les deux pièces constituent un formidable diptyque.
Les hommes manipulent les bassines, les portent sur la tête et caricaturent les femmes, sans rien prendre au sérieux (« Je ne suis pas une femme, moi! »). Ici aussi, on voit sur le plateau ce qui est tabou dans la vie.
Galerie photo : Laurent Philippe
La danse surgit comme du temps des royaumes anciens et des cérémonies shamaniques. On porte des masques, on danse et on chante la guerre et la chasse, mais tous les instruments de percussion sont en caoutchouc ou en plastique: rien que des tongs et des sceaux. Et on songe aux théières tout aussi coloriées du solo créé en 2004 pour Sophiatou Kossoko.
Dix ans plus tard, la « cérémonie », bien rythmée et riche en rebondissements, questionne tous les regards: les leurs sur les femmes et sur eux-mêmes. Et le nôtre, bien sûr. À l’École des Sables, on forme des artistes qui portent un regard conscient sur leur art et leur identité. D’où l’homogénéité et la limpidité de la proposition, quel que soit le risque de se perdre dans le titre. En somme, Robyn Orlin ne pouvait mieux tomber.
Thomas Hahn
Festival d’Avignon, Gymnase Aubanel, 13-18 juillet
6-7 novembre2014 Blois, la Halle aux Grains
17 novembre Châteauroux, Equinoxe
20 novembre, Théâtre d’Orléans
18 mars, Noisiel, La Ferme du Buisson
21 mars, Brive, Les Treize Arches
25-29 mars, Paris, Théâtre de la Ville
1er-2 avril, Luxembourg, Grand Théâtre
8-9 avril, Lille, Opéra
11-12 avril, Paris, le 104
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