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« Après Coups/Projet un-femme » de Séverine Chavrier
Deux pays, deux histoires, deux citoyennes. Deux artistes, par ailleurs. Victoria Belen Martinez est circassienne, née en Argentine. Natacha Kouznetsova a connu la fin de l'URSS, la Perestroïka, l'école de ballet russe.
Chacune a traversé des périodes de rigueur et de boom économique, de rouleau compresseur capitaliste ou de répression totalitaire. Les victimes du système sont tantôt les pauvres, tantôt les opposants politiques, tantôt les immigrés. La violence est partout, mais Projet un-femme de Séverine Chavrier ne veut pas rejouer une analyse sociétale. Au contraire, il s’agit de dialoguer avec la liberté.
Martinez et Kouznetsova ont beaucoup parlé de leur jeunesse en Argentine ou en Russie à la metteuse en scène qui orchestre un va-et-vient improbable et imprévisible entre les deux univers. Leur rencontre ressemble à une errance artistique où chaque tournant apporte son lot de surprises.
Du burlesque au tragique, de la boxe au clown, du conte de fées au trash, du salto au masque neutre, de l'action brute à la réflexion psychanalytique, Projet un-femme dessine une fresque gestuelle de l'art corporel du vingtième siècle, ou l’on peut danser une sorte de sorte de Mort du cygne en portant un masque de clown, tanguer à la Chaplin en campant des militaires, faire d’un salto un commentaire politique et d’une boîte en carton sa carapace et sa coquille…
Là où tant de chorégraphes travaillent sur la rage par une réduction de l’expression à un geste inlassablement répété, Chavrier propose une écriture prolifique qui révèle chaque interprète sous des angles toujours renouvelés. Le résultat est une ouverture maximale sans renier une attitude rebelle, sur un plateau qui devient un paysage urbain, intérieur, métaphorique ou politique.
On sent comme une nécessité de dire, libérée par la rencontre. Martinez, menue mais musclée (car circassienne) et Kouznetsova, puissante et ultra-expressive, réagissent à leurs propres récits en interprétant leurs propres émotions, leurs fantasmes et les rêves collectifs de leurs pays, avec leurs désarrois sociaux et politiques. Si le plateau est ici un théâtre de combats, il devient aussi un lieu de vérité et de créativité, générant l’énergie nécessaire pour continuer la lutte contre les formes de pouvoir qui réduisent l’espace vital de l’art.
Cet Après coup envoie donc de sacrés uppercut dans l’univers du spectacle vivant. Projet un-femme sonne comme le remix de deux solos sans solitude, qui se fondent en un duo de deux voix et de deux corps pour montrer le cheminement de des réalités de vie à travers l’énergie créatrice de deux artistes interprètes. Où la metteur en scène ouvre une troisième voie, celle d’une libération grâce au reflet de soi dans l’autre.
Thomas Hahn
3 au 5 février 2015 - Festivals Faits d’hiver et Hors Série, Théâtre de la Bastille
http://www.theatre-bastille.com/saison-13-14/les-spectacles/hors-serie-n7
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