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Akaji Maro et Eric-Maria Couturier : « Alter Ego »

D’une beauté ineffable, d’une irrévérence délicieuse, Alter Ego, duo de la légende du butô Akaji Maro et du violoncelliste Eric-Maria Couturier, a créé l’événement à la Maison de la musique de Nanterre.

Qui est cette créature échevelée vêtue d’une robe bleue digne de conte de fées ou de personnages d’Heroïc Fantasy ? Ni femme, ni homme, ni tout à fait animal, mais tout cela à la fois, Akaji Maro, magistral, apparaît comme le fantôme du temps qui passe, une Dame blanche émergeant de la brume, un vieux félin qui se promène à l’orée de nos rêves. Accompagné du formidable violoncelliste Eric-Maria Couturier, (qui, dans la première partie de ce spectacle joue les Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach, puis les rejoue en les écorchant, par moments, de ses improvisations personnelles), le fondateur de la compagnie Dairakudakan (Le Vaisseau du grand chameau, créé en 1972), pionnier du butô, nous livre cet Alter Ego, une œuvre rare.


Composée de replis et de regards, de pas en demi-cercle, d’allongements de longs muscles qui frémissent sous la peau, de superpositions d’images qui se glissent dans la tournure d’une main, dans la flexion d’une hanche, cette création nous montre un être solide et liquide, au bord de la dissolution ou de la disparition, nous déshabituant de tout sentiment de durée. La voix râpeuse du violoncelle, merveilleusement interprétée par Eric-Maria Couturier nous entraîne dans un paysage de roche et de terre, duquel émerge une danse d’une lenteur inexprimable où s’amalgament l’ancien et le présent dans une gestuelle minimale qui tord le corps comme un arbre dépouillé par l’hiver, semant en nous l’immobilité. Et pourtant l’ombre d’un géant, majestueux ou frénétique, lion royal avec sa crinière blanche dialogue avec celle-ci. Il interroge, est inquiet, désire, grogne, réfléchit, rage ou rugit. Maro est à lui seul cette « inquiétante étrangeté » qui dort à la lisière de notre inconscient. Un « kami » cet esprit japonais de la nature qui vit dans un espace parallèle au nôtre. Il est, à lui seul, et l’Alter, et l’Ego, le butô d’Akaji Maro restant l’art de la métamorphose et de l’impertinence.


Mais Maro ne serait plus Maro sans cette bonne dose d’autodérision, qui lui fait surprendre son reflet au détour d’un coup d’œil aux panneaux miroirs qui constituent la scénographie ; ou qui le propulse dans un univers grotesque ou surréaliste, mais aussi dans un monde archaïque et primal, où le rire est vraiment le propre de l’homme. À 82 ans, Akaji Maro est un danseur d’exception, une légende vivante du butô, cette danse ténébreuse qui s’oppose à tous les conformismes. Tous.
Voir ici le savoureux portrait qui lui est consacré réalisé par la Maison de la culture du Japon à Paris


Agnès Izrine
Vu le 14 novembre 2025, à la Maison de la musique de Nanterre.
Photo de preview © DYOD

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