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Shihya Peng et Ballets Jazz de Montréal au Festival Immersion Danse.
Une soirée très contrastée, entre première œuvre singulière d’une chorégraphe franco-taiwanaise, Shihya Peng, avec la création de Never Enough, et Dance Me, un spectacle culte de la danse jazz revisitée par Leonard Cohen pour les Ballets Jazz de Montréal, chorégraphié à trois mains par Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa et Ihsan Rustem.
Shihya Peng, entre exil et métamorphose
Élevée seule par sa mère dans le Taïwan des années 1980, Shihya Peng trouve dans la danse un espace de liberté face aux jugements sociaux. Formée dès l’enfance à Taïwan en danse classique, contemporaine et traditionnelle chinoise, Shihya Peng a poursuivi ses études aux États-Unis avant de s’installer en France en 2012. Interprète pour François Chaignaud, Tânia Carvalho, Honji Wang et Sébastien Ramirez ou encore (LA) HORDE, elle vient de présenter au festival Immersion Danse de L’Onde Never Enough, sa première grande création.
Conçue avec le compositeur et créateur visuel Alexandre Bouvier, la pièce explore l’exil intime et la mémoire à travers une écriture nourrie de cultures croisées. Vidéo, musique et danse s’y entremêlent pour raconter un parcours marqué par les déplacements et les contradictions. La vidéo y devient moteur dramaturgique, prolongeant le geste filmé jusqu’à faire disparaître le corps dans une architecture mouvante. La musique mêle percussions taïwanaises et textures électroniques, avec une touche cinématographique. Sur scène, Shihya Peng prend aussi la parole, posant un cadre concret avant de s’en détacher.
Never Enough fait donc dialoguer corps, image et son pour interroger la liberté et l’identité. Notamment dans cette fameuse « Danse du paon », autrefois réservée aux hommes, puis popularisée par les femmes avec une « féminité » exacerbée. En masquant son visage, la chorégraphe navigue entre cette image codifiée et une physicalité brute, évoquant la tension entre ressenti et paraître. La combinaison de danse chinoise, danse contemporaine et vidéo conjugue à une certaine nostalgie du pays perdu, le soulagement d’échapper à ces clichés et à ces injonctions. Car, comme l’indique le titre, Never Enough, Shihya Peng évoque le sentiment de culpabilité qui lui a été inculqué par la danse comme par la société, de « n’en faire jamais assez ». D’où ce passage où elle exécute toute une série d’ordres plus ou moins physiques, jump, run, collapse, cry, smile, extend, shut up, twist, shrink, shake, fly, shut up…Elle évoque la pression sociale sur les parents qui rejaillit sur les enfants, l’absence de sa mère, et les ambiguïtés de la position de Taiwan qui leur impose la danse classique chinoise comme obligatoire, tout en interdisant la culture et les produits venus de Chine. Tout cela, elle l’exprime par une gestuelle très travaillée, parfois à très grande vitesse, mêlant qualités arrêtées, bras croisés aux poignets cassés, contractions extrêmes sur des gestes amples, tensions et mouvements rigides, ou mécaniques, positions hyper penchées, voire contorsionnistes, danse gymnique avec des foulards rouges. La violence de ces intimations sociétales est renforcée par le flux des images, le plus souvent générées par l’IA, qui finissent par devenir flashes stroboscopiques.
Crédit photo © D.R
Au début, alors qu’apparaît un costume de lapin, une voix dit qu’elle ne veut pas être un lapin, mais qu’elle ne veut pas être un ours non plus.... À la fin, le même texte est affiché sur la vidéo, comme un clin d'œil qui permettrait de réinterroger toute cette histoire d'identité. Une œuvre où l’intime devient universel, et où la danse se fait mémoire vivante.
Un opéra rock dansé
Dans la même soirée, le festival Immersion Danse présentait l’une des dernières représentations du spectacle Dance Me qui allie à l’énergie des danseurs des Ballets Jazz de Montréal, les plus grands tubes de Leonard Cohen. Une ode vibrante portée par la virtuosité des danseurs et l’inventivité de trois chorégraphes, sur la voix grave et envoûtante de Leonard Cohen. Plus qu’un spectacle de danse, Dance Me s’apparente à une comédie musicale ou à un opéra rock chorégraphié.
À l’origine du projet, Louis Robitaille, ancien directeur du BJM, a eu l’idée de rendre hommage à l’artiste québécois le plus universellement admiré. Il a confié à Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa et Ihsan Rustem la mission de transposer sur scène les chansons emblématiques de Cohen. Le résultat : une création exclusive pour quatorze danseurs, approuvée par Cohen lui-même avant sa disparition en 2016, et devenue depuis un succès mondial. De Suzanne à Hallelujah, en passant par Dance Me to the End of Love ou des titres plus récents comme It Seemed the Better Way, le spectacle traverse cinq « saisons » qui reflètent autant les décennies de création de Cohen que les étapes de la vie.
Crédit photos © D.R
Vidéos, lumières stroboscopiques ou délicates, ombres chinoises : chaque univers scénique révèle la sensualité des corps et la puissance des images.Sous la direction artistique d’Alexandra Damiani, Dance Me s’impose comme une œuvre phare du répertoire du BJM : un ballet bouleversant, où prouesses athlétiques, portés vertigineux et intensité musicale se conjuguent pour faire revivre l’émotion intemporelle des chansons de Leonard Cohen.
Agnès Izrine
Vu au Festival Immersion Danse le 12 novembre 2025 à l’Onde Centre d’Art
Photo de preview : Never Enough de Shihya Peng © D.R.
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