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« On Stage » de Maria Hassabi
Au Théâtre national de la Danse de Chaillot dans le cadre du Festival d’Automne, la chorégraphe et plasticienne Maria Hassibi nous offre avec On Stage une performance aussi radicale que fascinante et d’une intensité rare.
Artiste pluridisciplinaire, Maria Hassabi est plus identifiée dans le champ des arts visuels que chorégraphiques. Chypriote vivant et travaillant entre Athènes, New York et Paris, elle s’essaie à la performance, à l’installation, à la sculpture, à la photographie et au film en menant depuis une vingtaine d’années un travail d’une grande cohérence par-delà les mediums, qui s’intéresse aux relations entre corps vivant, image fixe et objet sculptural tout en réfléchissant à la notion de temps. Elle a été présentée au MoMA comme au Centre Pompidou, à la Biennale de Venise comme à Art Basel. Elle proposait au Théâtre national de Chaillot sa performance, aussi radicale que fascinante, On Stage dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.
Une grande lenteur et peu d’action
Inspiré par une courte scène d’ouverture d’Opening Night de John Cassavetes qui montre une image fixe de Gena Rowlands devant un public dans une pose théâtralisée, ce solo tout à la fois minimaliste et sophistiqué met en scène la performeuse dans une économie d’actions effectuées avec la plus grande lenteur, postée à l’avant-scène dans un espace vide, mettant ainsi au défi nos attentes de spectateur.
Maria Hassabi y aboutit un travail entamé en 2009 avec le diptyque composé de Solo et Soloshow. Si elle copiait alors des centaines d’images plus ou moins iconiques qu’elles rendaient vivantes en les incarnant avec la volonté de créer « un terrain d’interprétation commun pour les spectateurs », de raviver nos souvenirs, elle avoue aujourd’hui ne plus avoir besoin de s’y référer, tant il s’agit maintenant d’un vocabulaire qui lui est intimement lié.
Présence évanescente
Alors que l’heure de début de la représentation est passé et que le personnel de Chaillot, comme à son habitude, nous a demandé de nous resserrer vers le centre pour combler les quelques sièges encore laissés vides par les absents et les retardataires, il ne se passe rien. Les lumières restent vives dans la salle et éteintes sur scène. Il ne se passe rien et il se passe donc déjà quelque chose de différent. Quand certains continuent de dialoguer avec leur voisin, d’autres font silence, s’interrogent ou, profitant de ce sas bienvenu entre leur vie et la représentation, se mettent en condition pour mieux accueillir ce qui va suivre.
Mais le noir finalement se fait, intégral, perturbé un instant par un flash de lumière en fond de scène, côté cour. Puis une lueur blanche se dévoile, évanescente et fantomatique. La distinguer et la suivre dans sa presqu’immobilité, dans ses apparitions et disparitions, nous oblige à la plus grande des concentrations. Comme dans une œuvre d’art cinétique, le mouvement lent de cet insaisissable spectre trouble notre vision et nos perceptions. Cette chimère opalescente est-elle encore vraiment présente ou le fruit d’une persistance rétinienne ?
Un enchaînement en fondu de micromouvements
Alors que deux jambes comme deux halos qui s’écartent et se resserrent se laissent deviner, une silhouette grandit et s’approche, toujours très lentement, du bord de la scène. Avant de nous devenir tout à fait présente, Maria Hassabi voit ses contours se modifier sous les éclairages changeants, savants et admirables d’Aliki Danezi Knutsen, son visage, que nous n’avons pas encore réellement découvert, se déformer comme sous le pinceau d’Egon Schiele voire de Francis Bacon.
Maintenant toute proche, face à nous et en pleine lumière, intégralement vêtue de jean version tie and dye, elle enchaîne pianissimo les poses que relient en fondu des micromouvements. Elle déplace le poids de son corps, soulève un talon, laisse saisir sa face ou son profil, appuie ses mains sur ses genoux ou ses hanches. Le moindre de ses infimes gestes fait évènement et fascine, happe notre attention qui ne faiblit décidément pas. Rarement – voire jamais – l’on se sera senti dans une relation kinesthésique d’une telle intensité avec un interprète, au point de se surprendre à incliner la tête dans la même direction, à avancer notre buste au même moment qu’elle.

Distorsion du temps
On Stage est une performance rare, interprétée avec autant de puissance que de fragilité, d’extrême sensibilité. Alors que le temps s’y distant par son extrême lenteur, il y passe en un éclair. Nous y sommes totalement happés dans le présent de la représentation. Maria Hassabi nous offre une expérience méditative d’autant plus précieuse qu’elle est en absolu contraste avec notre monde de zapping généralisé où les images s’enchaînent à vitesse grand V sans réussir à capturer notre attention devenue toujours plus vacillante.
Delphine Baffour
Vu le 22 octobre au Théâtre national de la Danse de Chaillot
Performance : Maria Hassabi
Création sonore : Stavros Gasparatos, Maria Hassabi
Création lumières : Aliki Danezi Knutsen
Costume : Victoria Bartlett, Maria Hassabi
Assistantes : Elena Antoniou, Maribeth Nartatez
Régisseur général : Hugues Girard
Gestion de la production : Vassia Magoula
Management et distribution : Rui Silveira – Something Great.
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