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« Nuits transfigurées » : De Keersmaeker, Andreou, Dassy à l’Opéra de Lyon

Dans le cadre de la Biennale de la danse, l’Opéra de Lyon a invité trois chorégraphes « en prise avec notre temps et notre société par les esthétiques qu’ils et elles nous font traverser comme par ce qui les constitue » à créer pour le Ballet.

Les trois pièces programmées par Cédric Andrieux sont fort dissemblables. Tandis que celle qui débute la soirée, La Nuit transfigurée (2014) d’Anne Teresa De Keersmaeker, donne l’impression de se tourner vers le passé, celles de Mercedes Dassy, deepstarias bienvenu-e-s (( re : )), créée en 2020, recréée pour l’occasion, et de Katerina Andreou, WE NEED SILENCE, étrennée ce mois de septembre, divergent par la forme et par l’esprit.

La Nuit de De Keersmaeker entre dans le répertoire de la compagnie lyonnaise. Elle s’inspire du poème symphonique ou « psaume moderne » éponyme d’Arnold Schönberg et illustre clairement les vers l’ayant inspiré, tirés de La Femme et le monde de Richard Dehmel. En particulier ceux-ci : « Je porte un enfant, mais pas de toi, je mène une vie de péché à tes côtés. Je me suis gravement fait mal et ne crois plus au bonheur (…). Maintenant la vie s’est vengée, maintenant je t’ai rencontré, toi, ô toi ».

Cette œuvre de maturité de la chorégraphe flamande est basée sur une œuvre de jeunesse de l’inventeur du dodécaphonisme. La musique est encore sous influence classique, autrement dit tonale ; elle relève du « romantisme tardif », malgré quelque audace harmonique, ici et là. Schönberg avait dédié son opus à sa fiancée Mathilde, la sœur de son mentor, compositeur et pédagogue, Alexander von Zemlinsky. Il changea son sextuor à cordes en version orchestrale en 1916 puis en 1943. Anne Teresa De Keersmaeker réduisit quant à elle en 2014 sa version originale de 1995 pour quatorze danseurs à un duo ou, plus exactement, à une épure alternant solos et de pas de deux évoluant dans un style finalement pas si éloigné aujourd’hui de celui du ballet blanc. Est-ce dû à la formation classique des danseurs de l’Opéra de Lyon ou à l’évolution de la chorégraphe ? Aux deux, probablement.

Galerie photo © Marc Domage
 

Le partenaire masculin, n’était deux-trois échappées belles, y tient l’emploi traditionnel de danseur-porteur ou de danseur-poseur. La femme, incarnée par la virtuose Amanda Lana le soir où nous y étions, a le beau rôle. Comme si le duo intermittent ne formait, en réalité, qu’une seule et unique variation d’un peu plus d’une demi-heure, compte tenu de l’accompagnement musical choisi par la chorégraphe qui est l’enregistrement au tempo adagio de 1973 du partisan de la musique sérielle, Pierre Boulez, dirigeant l’orchestre philharmonique de New York. Plus de trente minutes, pour un solo, cela peut paraître long. D’autant que peu de rebondissements ou de développements ne viennent relancer la dramaturgie. La première partie d’un ballet qui commence en silence vaut à elle seule le déplacement.  

Du tragique on passe sans transition au comique avec la pièce de Mercedes Dassy au titre saugrenu déjà mentionné. La nuance n’est plus de mise. Tout est poussé à l’extrême, que ce soit le niveau sonore, les éclairages de deux batteries de néons clignotants aveuglant les spectateurs les plus sensibles, les maquillages outrés, les mouvements rampants, les gambettes écartées de créatures s’offrant à qui veut et les tenues cabaretières des cinq interprètes ayant pour but d’émoustiller la clientèle. On en passe et des meilleurs – façon de parler. Il faut reconnaître que la pièce s’est taillée un franc succès auprès du public.

Galerie photo © Marc Domage
 

Avec WE NEED SILENCE, Katerina Andreou n’a pas voulu faire « futuriste » mais, simplement, contemporain. Elle utilise pour cela, au mieux d’après nous, les dimensions d’un plateau mis à nu – sa largeur, sa profondeur et, surtout, sa hauteur, avec des cintres qui, exhibés, participent de la scénographie. Celle-ci est complétée par deux estrades ou mini-scènes éclairées par deux rangées de 18 projecteurs carrés choisis par Yannick Fouassier. L’usage dispensable de fumigènes permet aux danseurs non de respirer mais, au signal sonore coupant cut la B.O., de faire de courtes pauses.

Galerie photo © Marc Domage
 

La danse relève de ce qu’il est convenu d’appeler le jumpstyle, une tendance aux origines belges, comme les deux pièces précédentes. Ce courant a inspiré (La)Horde à ses débuts, à l’époque de To Da Bone (2017), peut-être même un peu avant. Ces mouvements bissés ad lib, exécutés prestissimo font penser aux exercices de cardio training, à la zumba, au Workout jadis pratiqué par Jane Fonda et à la Gym Tonic de Véronique et Davina. Une danseuse mène la danse dans un long solo inaugural qui rappelle la course sur place, une heure durant, d’Almudena Maldonado dans Last Work d’Ohad Naharin [lire notre critique] . La techno hardcore composée par Katerina Andreou et Éric Yvelin rythme l’écoulement et motive, s’il le fallait, les douze membres du corps de ballet. Le résultat est on ne peut plus convaincant.

Nicolas Villodre
Vu le 9 septembre 2025 à l’Opéra de Lyon.

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