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« Isadora’s Memory » de Colette Malye aux Franciscaines de Deauville
Nous avons tenu à assister au spectacle Isadora’s Memory, une création chorégraphique et musicale conçue comme un hommage à Isadora Duncan, dans la perspective du centenaire de sa disparition qui sera célébrée en 2027.
Quoi de plus normal que les Franciscaines aient produit une pièce consacrée à une native de… San Francisco ? Quoi de plus naturel que Deauville, dont les murs affichent aujourd’hui les images et les noms de célébrités féminines ayant séjourné dans la cité balnéaire calvadosienne telles que l’impératrice Eugénie, la princesse russo-ukrainienne Marie Troubetzkoï, Françoise Sagan et Joséphine Baker, nous ait ainsi rappelé la résidence provisoire d’Isadora en Normandie, à l’hôtel Normandy puis à la villa Black and white, après la naissance d’un enfant mort-né de père inconnu, la noyade accidentelle de son fils Patrick, conçu avec Paris Singer et de sa fille Deirdre, fruit de sa liaison avec Gordon Craig, et la déclaration de la guerre de 14-18 ?

Le spectacle nous a permis d’assister à la rencontre inattendue entre l’étoile de l’Opéra de Paris Marie-Agnès Gillot, danseuse de l’étape associée aux Franciscaines, acquise au moderne (cf. Signes et Black over red de Carolyn Carlson) comme au contemporain, choréauteure d’une pièce hip-hop, Rares différences, présentée dans le cadre du festival Suresnes Cités danse, et Élisabeth Schwartz, danseuse et chorégraphe, spécialiste de Duncan, formée par l’isadorable new-yorkaise Julia Levin, ayant transmis sa connaissance en la matière à Boris Charmatz et à François Chaignaud et grandement contribué à la pièce de Jérôme Bel, Isadora Duncan.
Les différences entre les deux interprètes, d’ordre physique mais aussi technique, ont montré les deux facettes d’Isadora : un engagement corporel total et une apparence de facilité, avec des gestes ne répondant pas aux normes académiques. Cette danse dite « libre », décorsetée n’étant pas vraiment improvisée mais ayant ses propres codes. L’un des paradoxes étant la recherche de relâchement pas si simple à obtenir d’un corps ayant ses réflexes conditionnés. Nous pouvons dire que la rencontre entre deux styles et deux personnalités a bel et bien eu lieu. Sans la moindre marque d’affrontement entre la sylphide livide et l’amazone en cheveux, échevelée guerrière au milieu des tempêtes.
Car, au-delà de Deauville, auteure et interprètes ont voulu rappeler « le lien qui unit Isadora à la mer », ainsi que le précise la feuille de salle. Outre la source d’inspiration que représentèrent pour elle et pour son frère Raymond les dessins des vases, des tanagras et des bas-reliefs grecs du British Museum, les vibrations musicales atteignant le plexus solaire, traduites en danse, la lumière et la couleur dont tirait profit la pionnière de la danse moderne Loïe Fuller, elle reconnut l’influence sur sa danse « des vagues sur la mer – ses eaux formant, grâce à la force vivifiante de la brise, de longues ondulations ». De fait, il nous a semblé que, par leur teinte, leur coupe, leur volume, les costumes de Damien Brard s’inspirent vaguement des vagues océaniques.

Colette Malye a choisi d’accompagner les duos et les solos de danse de morceaux composés par Alexander Balanescu joués par lui et la violoncelliste virtuose Caroline Sypienewski qui figurent pour la plupart dans l’album Maria T (2005) du Balanescu Quartet. Le violoniste a diffusé au finale une berceuse enregistrée par une chanteuse roumaine évoquant le solo Lullaby créé par Isadora Duncan en 1914 après la disparition de ses enfants. Les thèmes musicaux fusionnant avec finesse traditionnel d’Europe centrale et minimalisme américain. Ces thèmes rythment le spectacle, structurent la pièce une heure durant, donnent grain à moudre aux danseuses.
Galerie photo © Naïade Plante
La scénographie est réduite à trois chaises Thonet prêtées par la maison Le Normand, hôtel de famille, bar et restaurant réputé d’Houlgate. Deux d’entre elles, côté jardin, sont réservées aux musiciens, la troisième, à cour, permet aux danseuses de reprendre leur souffle après chacune de leurs variations. Les chaises Thonet de style Art nouveau sont plus épurées que celles réservées aux invités de marque à la garden party dans laquelle se produisit brièvement Isadora Duncan, sans doute en juin 1921, lors d’une tournée londonienne – le seul film qui nous reste d’elle, prise par un opérateur d’actualités cinématographiques.
Tel quel, dépourvu pour le moment d’un travail d’éclairage, le spectacle a remporté un grand succès auprès du public local auquel s’étaient joints nombre de touristes et de proches des artistes. Le quatuor d’interprètes, le costumier et la chorégraphe-metteuse en scène ont été à juste titre rappelés plusieurs fois.
Nicolas Villodre
Vu le 1er août 2025 aux Franciscaines de Deauville.
Distribution
Chorégraphe Colette Malye
Interprètes Marie-Agnès Gillot, Élisabeth Schwartz, Caroline Sypienewski, Alexander Balanescu
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