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Xenia Wiest à Biarritz: Bach to the future

Obligée de se réinventer, la chorégraphe allemande est revenue au Temps d’aimer avec un intrigant programme autour de Bach.

Il était une fois... le Ballett X. A Schwerin, dans le Mecklembourg, avec son lac et son château si baroque. Où l'on se mit à aimer la danse, grâce à Xenia, nommée comme l’héroïne d'un ballet à danser entre est et ouest. Un beau jour, à Biarritz, elle remporta même le prix des jeunes chorégraphes de ballet ! Et à Schwerin on la fit directrice. Elle forma donc la nouvelle compagnie et pour la première fois, la ville devint un repère, dans un pays où on aime le ballet, bien plus que chez les Gaulois des temps modernes.

Un jour cependant, le maître enchanteur du Staatstheater dans le Mecklembourg convoqua Xenia en son bureau et lui remit un papier avec sa signature. Et le conte fut terminé ! Une croix fut faite sur le Ballet X, en plein été de l’an 2024, peu avant la fin de la troisième saison sous la direction de Xenia. Par un coup de la baguette magique du grand directeur, coup si étrange et jamais expliqué qu'aujourd'hui encore, personne dans tout le pays n’a su s’en faire une raison. Certes, il fut écrit : « Pour faute grave et  “intolérable“  ! » Seulement, laquelle? Personne, jamais, n’en sut rien.

Seulement, les conséquences sont bien là. Xenia Wiest va essayer de surmonter ce drôle de couac dans une carrière jusque-là fulgurante. Elle, qui est née à Moscou, va quitter Schwerin et retourner vivre à Berlin, avec son époux, le danseur paraguayen Julio Cesar Morel Alfonso avec lequel elle anima la Gigabarre du Temps d’aimer et qui fut un vrai repère sur scène à la Gare du Midi, au cours de la représentation de Bach – Past-Present-Future.

L’ex-X en Pays Basque

La soirée avait débuté par un moment des plus étranges, pourvu qu’on soit au courant de la situation de Wiest. Car avant de laisser le plateau aux danseurs, la chorégraphe prit le micro et annonça le programme autour de la musique de Bach, « incroyablement variée » selon elle, et ses échos contemporains composés par Francesco Tristano. Où elle expliqua, quant à la partie Present que celle-ci est chorégraphiée par « Jonathan Dos Santos, le directeur de la compagnie ». Lequel était à ses côtés. Et pourtant, à quelques semaines près, elle se serait elle-même présentée, au même endroit, comme la directrice du Ballet X.

Il fut un temps où le X ne renvoya pas à Elon Musk et l’ancien Twitter, mais à une donnée inconnue. Exactement comme ici. Car la compagnie qui se présenta au public du Temps d’aimer la danse portait sa part d’inconnu. Quel ensemble voyait-t-on ? Les articles et annonces publiés en amont ainsi que les brochures et programmes portaient tantôt sur le « Ballett – Schwerin », tantôt sur « Ballett X » ou encore sur le « Ballet du Théâtre d’Etat du Mecklembourg siégeant à Schwerin », le plus long étant, provisoirement, le plus exact. Les danseurs sont les mêmes qu’avant et continuent à être salariés par la compagnie du Staatstheater Mecklenburg qui s'appelle aujourd'hui, de son nom officiel, Company Ballett Schwerin, un mélange d’allemand et d’anglais qui ne contribue pas à clarifier les choses. 

Le ballet et l’intime

Sur le plateau de la Gare du Midi, l’ensemble se montra imperturbable et fit comprendre pourquoi le travail de Wiest est tant apprécié en Allemagne. En introduction, une danseuse à la barre, sur pointes et dans une sensibilité à fleur de peau. Dans chaque regard, dans chaque fibre de son corps s’exprima une justesse éclatante des émotions, une fragilité qui fit même songer à Pina Bausch dans Café Müller.

Après ce prologue, le mouvement Present de Xenia Wiest sur la Chaconne  de la Partita n° 2 – à l’origine créé pour le Jeune Ballet de l’Opéra de Lyon sous le titre d’Ashes – fut de la même sensibilité, où la technique classique devient le vecteur d’un ressenti intime. Une danse, comme si la sobriété expressive de Jiří Kylián se mélangeait à l’univers de Merce Cunningham. Pas une révolution donc.

Mais la touche très sensible de Xenia Wiest se lit telle une leçon en matière de fusion entre finesse et vivacité où un hypothétique corps de ballet se compose d’individualités pleinement présentes, où en plus se crée un regard nouveau sur les pointes qui portent et expriment l’émotion au même titre que le corps et le visage. Les personnages de Bach – Past-Present-Future sont des êtres à part entière, de la pointe des pieds à celles des cheveux, de la technique classique à l’expression authentique des émotions.

Photos © Stéphane Bellocq

 

L’incertitude – il fallait s’y attendre – concerne le futur. La partie « moderne » du programme fut dansée sur une musique créée sur mesure par Francesco Tristano, DJ et référence dans la musique électronique comme dans la réinterprétation de Bach. En même temps, elle dévoila à quel point les concepts et sentiments autour de la modernité diffèrent entre une ville moyenne allemande et la scène française. Les attentes du public n’y sont pas les mêmes et, ce qui peut être ressenti comme avant-gardiste d’un côté, ne l’est pas toujours de l’autre. Et c’est peut-être Bach qui inspire plus de modernité qu’un remake électronique.

Une longue histoire avec l’Aquitaine

Wiest, qui fut l’une des plus jeunes directrices d’un ensemble classique, a pourtant encore une carte à jouer en France pour retrouver la liberté de ton et l’audace que le public français avait appréciées chez elle en 2016 et 2019. C’est au Ballet de l’Opéra de Bordeaux qu’elle créera une nouvelle pièce en avril 2025, où elle sera attendue au tournant, devant faire preuve de plus de mordant et de radicalité, si elle veut nourrir des ambitions sur le territoire français.

En 2022, la fille d’une professeure de violon et d’un batteur de jazz avait impressionné au Temps d’aimer avec sa création Nacht ohne Morgen  (Nuit sans matin) [ notre critique], après avoir remporté en 2016 le Concours de jeunes chorégraphes de ballet, où le jury lui décerna – à l’unanimité – le premier prix pour To be continued, qui est selon notre consœur Sophie Lesort « une pièce puissante et raffinée » qui « bouscule les codes de la danse néo-classique tout en s’interrogeant sur le cycle infini de la mort et de la résurrection » [lire son article ].

Photos © Stéphane Bellocq

En huit ans, Wiest a tissé une belle histoire avec Biarritz qui avait donc débuté plein d’optimisme par une belle projection dans l’avenir, To be continued signifiant « à suivre ». Mais il y avait aussi cet autre titre, Nuit sans matin, de plus sombre augure. Par contre, celui de la création avec le Ballet de l’Opéra de Bordeaux n’est pas encore annoncé. Ce que nous savons : On verra une soirée en quatre parties, partagée avec deux pièces au répertoire (Obsidian Tear  de Wayne McGregor et la grande référence Sleight of Hand  de Sol Léon & Paul Lightfoot) ainsi qu’une création d’Ana Isabel Casquilho, lauréate du concours de jeunes chorégraphes de ballet 2024. Voilà qui sonne, pour Wiest, comme un rendez-vous avec sa propre histoire, d’autant plus que Casquilho venait de chorégraphier pour le Ballet X un duo, Fado em Mim. Reste à espérer que le travail à Bordeaux puisse ouvrir sur un avenir international, pour Wiest comme pour Casquilho.

Thomas Hahn

le 9 septembre 2024 Le Temps d’aimer la danse, Biarritz, Gare du Midi,

 

Bach – Past-Present-Future
Chorégraphie : Xenia Wiest, Jonathan Dos Santos
Musique : Jean Sébastien Bach, Francesco Tristano
Costumes : Mélanie Jane Frost
Lumières : Hannes Ruschbaschan, Xenia Wiest
Dramaturgie : Judith Lebiez

 

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