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Entretien Emmanuel Eggermont

Présenté à Tours d’Horizon le 7 juin et aux Rencontres Internationales de Seine-Saint-Denis le 15 juin, About Love and Death, création d’Emmanuel Eggermont autour de l’œuvre de Raimund Hoghe, nous a donné l’envie d’en savoir plus. Voici ses réponses.

DCH : Pourquoi avoir choisi ce titre ? Est-ce en rapport direct avec la disparition de Raimund Hoghe en mai 2021 ?

Emmanuel Eggermont : La pièce s’appelle About Love and Death, et d’une certaine façon, l’amour et la mort ont été les sujets de chacune des pièces de Raimund Hoghe, et agissent en toile de fond dans tout ce que nous avons pu traverser ensemble pendant quinze ans. Et c’est aussi un clin d’œil au dernier solo qu’il a créé pour moi en 2020, que nous n’avons pu montrer à la Ménagerie de Verre à Paris, en premier lieu à cause du COVID, ensuite parce qu’il n’était plus là qui devait s’appeler ainsi. En fait, ce titre vient d’un extrait du film Fedora de Jules Dassin, que nous avions utilisée pour ce solo, où Anthony Perkins demande à Melina Mercouri qui chante en grec : « Ah, j’aime bien ça ! Qu’est-ce que ça veut dire ? » et Melina répond « It’s like all Greek songs, about love and death ». Et voilà. C’est une scène qui a résonné dans ma tête longtemps. Avec Raimund, c’était toujours comme ça. Toutes les musiques que nous avons écoutées, toutes les versions qu’il a pu choisir continuent de circuler dans mon esprit. Donc c’était le point de départ.

DCH : Est-ce un nouvel hommage à ce chorégraphe qui nous a tous marqués ?

Emmanuel Eggermont : Elle est sous-titrée « Élégie pour Raimund Hoghe » parce qu’il était important pour moi que son nom soit cité, et qu’il puisse renvoyer immédiatement le spectateur à son œuvre. Mais ce n’est pas un hommage, c’est une élégie, donc une forme de poème pour l’être cher disparu. C’est un appui, une porte. Et finalement, c’est plutôt une opportunité d’aller plus loin. De travailler sur l’héritage et la filiation. Comment ce chorégraphe continue d’agir sur moi, sur nous, en tant qu’interprètes – au double sens plein du terme. La première chose qu’il a enseignée à chacun d’entre nous consistait à nous dire « suis ton propre chemin, peu importe ce qu’il est ». Personnellement, j’utilise cette sentence pour écrire mes pièces, et particulièrement celle-ci, dans laquelle je m’appuie sur ce qu’il m’a laissé. Je suis légataire de ses œuvres chorégraphiques, ce qui m’oblige à une grande responsabilité. Il faut continuer la route. Mais non telle qu’il l’aurait suivie, mais telle que je veux la faire. Et plutôt qu’endosser cette obligation, être sincère avec mes sentiments, mes sensations et ma démarche artistique, lui rend sans doute mieux hommage. Cette pièce questionne donc la filiation, le lien entre être interprète pour un chorégraphe et en devenir un soi-même. Que se passe-t-il dans cet entre deux ? On ne le montre jamais et on le valorise très peu. Je n’ai jamais eu de problème avec cette généalogie et je la revendique plutôt, car je sais qu’à chaque occasion, elle m’amène un peu plus loin dans ma propre recherche.

DCH : Quelle est donc votre part dans cette création ?

Emmanuel Eggermont : Travailler avec Raimund, c’était énormément de liberté pour l’interprète. J’avais beaucoup à offrir dans ces pièces qui partaient de moi, mais étaient rendues possibles par l’extraordinaire atmosphère de travail qu’il savait créer, comme des écrins autour de chaque personnalité. C’est ce que j’essaie de proroger, à ma façon. About Love and Death traverse plus de quinze années de collaboration. Il doit y avoir entre huit et neuf œuvres auxquelles j’ai participé, mais ce n’est en aucun cas un catalogue, car la création comprend très peu de morceaux d’origine. J’ai davantage joué sur la matière.

DCH : Justement, comment reconstruire à partir de ces éléments ?

Emmanuel Eggermont : La façon de construire de Raimund Hoghe, c’était une musique – une danse. Je me suis amusé à reprendre la musique originale, la danse originale, et ensuite à mettre une autre musique en gardant la danse de départ, ou le contraire, etc. J’aime comparer les processus de Raimund, à une boîte de Lego. Dessus, il y a un dessin, qui nous indique que nous pouvons réaliser le vaisseau de Star Wars. C’est génial, nous avons toutes les pièces, les cubes, les couleurs. Mais au bout d’un moment, nous réalisons qu’il est peut-être plus intéressant de créer son propre vaisseau ou de suivre sa propre imagination pour créer autre chose avec ces mêmes éléments. Cette pièce porte vraiment la rigueur, la qualité du mouvement, de la connexion, de l’écoute de la musique qui sont les « Lego » de Raimund, c’est-à-dire qu’aucun mouvement n’est exécuté pour la virtuosité ou pour présenter une capacité technique. Mais ensuite, il faut laisser jouer son inventivité. Et c’est en cela que consiste mon rôle de légataire, faire attention à ce que ce qu’il reste de Raimund garde ses qualités, mais ne pas le figer, car de toute façon, il serait aussi vain qu’absurde de rejouer ses pièces sans lui.

Donc il faut créer comme il le faisait. Je me souviens de Si je meurs, laissez le balcon ouvert, sa pièce autour de Dominique Bagouet donnée à Montpellier Danse. C’était vraiment un hommage, mais qui se gardait bien de reprendre certaines de ses œuvres. Le point de départ était : Quelle était la dernière pièce de Bagouet ? Qu’aurait-il fait après ? Mais bien sûr, pour savoir cela, il fallait s’emparer de tout ce qu’il avait fait avant…

Pour moi, c’est presque naturel de poursuivre ce chemin. D’autant que lui-même jouait beaucoup avec cette notion de souvenirs et de fragments qu’il s’amusait à changer de place. Et ce qui m’intéresse c’est de donner à la fois une nouvelle lecture et une nouvelle écriture. Et puis, il y a toutes ces références artistiques, plastiques, iconiques qui m’ont influencées dans mon travail. About Love and Death est vraiment donnée à voir comme une création, mais aussi pour toute une nouvelle génération qui a découvert le travail de Hoghe à travers les hommages, ou n’est jamais venue voir de spectacle. Les renvois sont à la fois visibles pour ceux qui connaissaient le chorégraphe, et vraiment sous-jacents pour ceux qui n’ont aucune idée de qui il était.

DCH : Au niveau des archives, reste-t-il des films ? Des photos ?

Emmanuel Eggermont : Oui, nous sommes en train de travailler à une numérisation des archives. Donc nous défendons ces projets scéniques, qui vont constituer une sorte de trilogie avec l’hommage, An evening with Raimund, pour lequel nous sommes neuf au plateau, cette pièce, et nous commençons un quartet, intitulé Simple Things, qui sortira vraisemblablement en 2025, qui rassemblera Luca Giacomo Schulte, son collaborateur le plus proche et dramaturge, Ornella Balestra, la danseuse mythique de son Swan Lake, Takashi Ueno avec lequel Raimund a créé plusieurs duos, et moi. Par ailleurs, nous proposerons une autre approche qui va s’appuyer justement sur le mélange des archives et de ses thématiques, qui consistera plutôt à donner des clés de lecture que mon solo complétera. Parallèlement, nous souhaitons ouvrir un site internet qui pourrait renvoyer aux œuvres originales, aux photos de Raimund, avec des vidéos, des textes, des choses qui n’ont jamais été montrées. Donc un travail de longue haleine qui sera, je pense, disponible fin 2025, qui réunira tout ça dans un bel événement. Je pense que ça lui aurait vraiment fait plaisir, car je crois qu’il aurait détesté que l’on reprenne ses pièces littéralement, et sans lui !

Propos recueillis par Agnès Izrine

Le 7 juin à 20h au Centre chorégraphique national de Tours dans le cadre du festival Tours d'Horizons.

Le 15 juin à l'Echangeur, Bagnolet, dans le cadre des Rencontres chorégrpahiques internationales de Seine-Saint-Denis

 

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