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Nantes : L’édition 2024 du festival Trajectoires
Plus que jamais, la danse croise les autres disciplines artistiques et se déploie dans tous types de lieux. Envie de trajectoires ?
Trajectoires : tel est le nom du festival nantais initié par Ambra Senatore en tant que directrice du Centre chorégraphique national de Nantes (CCNN). Très dynamique, ce rendez-vous avec la création n’a cessé de se développer, jusque dans cette 7e édition qui réunit 27 spectacles en 19 lieux, sur 10 jours. Et comme on peut aussi y profiter d’expositions, de tables rondes etc., le CCNN annonce une totalité de 53 rendez-vous. Parmi les événements qui font de cette édition un rendez-vous particulier, on trouve les 30 ans de la compagnie Yvann Alexandre et c’est un beau clin d’œil que de les fêter au Musée d’art de Nantes avec un duo nommé Infinité (lire notre critique).
Et s’il est question de trajectoires, l’éventail des propositions voit en effet se dessiner certains axes à l’intérieur de la programmation, axes qui ressemblent à des parcours ou trajectoires, en guise de fils rouges que nous tentons ici de démêler. Ce qui n’est pas toujours évident, tant les disciplines peuvent parfois se mélanger à plusieurs, en une seule proposition. Mais le plus souvent, un dialogue interdisciplinaire se noue en tant qu’élément fondateur d’un projet artistique.
1) La trajectoire beaux-arts
Les sculpteurs ont inspiré à Héla Fattoumi et Eric Lamoureux Ex-Pose(s), double duo qui se déploie partout où il peut entrer en dialogue avec l’inspiration d’un lieu artistique tel un musée, une galerie ou autre espace libérant la danse de la frontalité. Deux femmes, deux hommes, comme si les sculptures choisies, d’Henri Laurens et d’Ousmane Sow, se mettaient à vivre sous nos yeux pour n’en faire qu’à leur tête [lire notre critique]. Il n’y a donc pas de hasard à ce que Trajectoires investisse non seulement les théâtres de Nantes et de sa région, mais aussi le Musée d’arts de Nantes ou le centre d’art contemporain de Saint-Nazaire, nommé Le Grand Café.
Courir à la ruine, c’est bien sûr un titre qui renvoie à l’état d’esprit de l’humanité, mais aussi à ce qui nous reste des civilisations qui se sont éteintes… avant la nôtre. L’ancienne interprète de Kinkaleri, Ambra Senatore et Loïc Touzé propose à Trajectoires la première d’une interrogation sur ses origines romaines, où la danse se mélange avec la tragédie classique et la stand-up comedy, tout en construisant une relation entre le corps sculpté par l’expérience du geste et la sculpture antique.
Laurent Cebe et Lucie Collardeau explorent ensemble les rapports entre danse et dessin, le lien se faisant par la composition musicale. Et inversement. Dans Moche 04, qui s’intègre dans une série avec la quelle Cebe interroge les représentations collectives du mot « moche », c’est Collardeau qui monte sur scène, en compagnie du musicien Jonathan Poulet. Et le dessin, bien sûr. Il est de la plume de la danseuse, ce qui fait que tout se dessine comme un spectacle d’un seul trait… Mais qu’en est-il quand soudain Moche Forme collective débarque avec six interprètes ? Le suspense est entier, puisqu’il s’agit d’une création au festival.
Marion Blondeau, artiste associée au CCNN, et le metteur en scène Ahmed Ayed amènent la danse à la croisée des arts plastiques et de la création sonore, grâce à une scénographie signée Justine Bougerol. Toutefois, ce solo place le corps de la femme au centre, au cours d’une série de métamorphoses. Et ce corps, tour à tour contorsionné, désarticulé ou augmenté, est à la fois celui de Marion Blondeau et celui de Lilith, première figure de femme en révolte.
Et puis, il y a le Groupe Fluo qui travaille la lisière de la danse, des arts visuels et du cirque puisque Benoit Canteteau, fondateur de la compagnie en 2013, s’est formé en jonglage au LIDO de Toulouse avant de devenir interprète chez Pierre Rigal. Dans son solo Nouage, on est cependant proche des arts plastiques, car Canteteau interagit avec un ensemble de pierres, morceaux de bois et ficelles qui font exister une forme d’abstraction du jardin à la japonaise. A moins qu’il s’agisse d’une forme de jonglage très, très particulière…
2) La trajectoire vocale, avec…
…Julien Grosvalet, Nantais formé à P.A.R.T.S. et longtemps interprète chez Brumachon Lamarche alors qu’ils dirigeaient le CCN de sa ville d’origine. Il chante et danse dans I.AÏE.I, en affrontant la condition d’un corps empêché, puisque la blessure – le titre n’est-il pas un cri de douleur franco-anglais ? – fait partie de la vie du danseur.
…Pauline Weldmann, vocaliste qui crée des chorégraphies à partir de la parole et du chant. Sa création Antres, cinq interprètes dont elle-même établissent des systèmes de communication en chantant comme en dansant pour chercher de nouvelles modes de vivre ensemble.
…François Chaignaud dont on sait depuis longtemps qu’il est aussi un formidable chanteur. Seulement, ses pièces chantées étaient souvent réservées à un cadre intimiste. Avec Romances Inciertos – Un autre Orlando, cocréée avec Nina Laisné (direction musicale) il avait ouvert cette facette de son art à un public beaucoup plus large, d’autant plus que le spectacle est devenu culte et a vu plus d’une centaine de représentations [lire notre critique]. Autrement dit, les transformations de Chaignaud en trois mythes de la culture espagnole – à savoir La Doncella Guerrera (jeune fille qui se grime en homme pour partir au combat), l’archange San Miguel et la Tarara (gitane andalouse à l’androgynie cachée) – savent lier nos sensibilités actuelles de l’entre-genre au patrimoine ibérique.
3) La trajectoire arts visuels
Artiste touche-à-tout pleine d’atouts, Eloïse Deschemin présente sa performance Mini-Toast Entretien Lunch où elle intègre des excursions en live-stream grâce aux téléphones portables ainsi qu’une dégustation publique. Il s’agit donc autant de cinéma participatif que d’une conversation culinaire, où l’art chorégraphique rencontre le cinéma et les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux et la réalité virtuelle vont de pair et sont des enfants de la même époque. Vincent Dupont propose au public de No Reality Now des casques VR que l’on met, enlève et remet à sa guise, pour basculer entre la réalité – très prosaïque – des interprètes et objets occupant le plateau et l’image qui se construit à partir d’eux dans la réalité virtuelle. L’écart est parfois assez radical et c’est sans doute voulu par le chorégraphe qui apparente le glissement entre les deux niveaux de réel au passage vers l’au-delà. Reste à savoir si on préfère la réalité augmentée créée par Charles Ayats ou l’ici-bas des corps désaugmentés.
Alain Michard est chorégraphe et artiste visuel. Avec En danseuse, il lie sa performance à deux films dans lesquels apparaissent des figures singulières de la danse, de Jennifer Lacey à Pieter Ampe, Vera Mantero et autres Mette Ingvartsen.
4) La trajectoire musicale
C’est in situ, au Château de Ducs de Bretagne que Gabriel Um, artiste associé au CCN de Nantes, orchestre des trajectoires sur lesquelles 80 musiciens amateurs traversent différents espaces du château, pour sons et corps en mouvement, au gré d’une balade très inhabituelle dans ces lieux historiques. Ce qui nous rappelle aussi qu’Ambra Senatore qui dirige le CCN et le festival Trajectoires excelle dans cette discipline qu’est la visite chorégraphique de lieux historiques. Et tant mieux si elle transmet cette passion à quelques autres.
Parmi les créations du festival, on trouve aussi Jamil Attar et ses Impromptus, une série de brèves chorégraphiques consacrées à la recherche de nouveaux systèmes d’interaction entre les deux langages artistiques, en transférant vers la danse des logiques de composition musicale pour permettre au corps en mouvement de représenter une ligne mélodique ou des accords musicaux.
En fin de festival, on retrouve les Fattoumi Lamoureux, cette fois dans un style très différent d’Ex-Pose(s), puisque leur ZAK Rythmik n’est autre que la version tout public de leur chorégraphie si musicale déployée dans Akzak [lire notre critique], proposant aux petits un plus en matière d’interaction pour une expérience ludique et bien sûr très rythmique, grâce aux percussions diverses et variées.
5) La trajectoire théâtrale, avec…
…Emmanuelle Vo-Dinh : Dans Attractions, l’ancienne directrice du CCN du Havre a réalisé un montage chorégraphique à partir de 2000 enregistrements sonores, où sept comédiens interprètent 80 saynètes. C’est drôle, absurde et décalé, tout en rendant hommage au cinéma.
…Max Fossati. Si le chorégraphe formé au CNDC d’Angers et à Montpellier via ex.e.r.ce ne se réclame pas d’une formation de comédien, il utilise aujourd’hui la parole autant que le geste. C’est vrai en tout cas dans son solo Inaccessible vallée, où il revient sur sa propre vie et surtout sur sa relation avec son grand-père, pour interroger certains obscurantismes et les conventions qui pèsent sur la construction de l’identité masculine.
…Maguy Marin. Depuis longtemps, différentes formes d’art théâtral irriguent ses pièces aussi poétiques que politiques, dénonçant les méfaits du capitalisme et du patriarcat. « Il n’y a pas de danse – en tout cas pas dans le sens où on l’entend », avertit Agnès Izrine dans sa critique de Deux mille vingt trois [lire notre critique]. Mais il y a au moins 2023 cris et gestes de rébellion.
…Sylvain Riéjou. Dans Je badine avec l’amour celui qui a l’habitude de travailler autant avec des chorégraphes qu’avec des metteurs en scène et des plasticiens part du film Dirty Dancing pour interroger le rôle des films dans la construction du rapport à la sensualité chez un adolescent homosexuel dans les années 1980, quand le cinéma monopolise les références hétérosexuelles. Avec l’autodérision qu’on lui connaît, Riéjou navigue entre danse, théâtre et images filmées, cette fois dans un univers pop construit sur des citations et musiques de films.
6) La hors-trajectoires
Bien sûr, on croise aussi des propositions en dehors des sentiers ci-dessus battus. Ce qui pourrait être le cas de Les Yeux Fermés de Mickaël Le Mer, pièce de danse pure entre contemporain et hip-hop, où l’on joue avec une quête de spiritualité et une scénographie faite de lumières et de miroirs [lire notre interview]. Mais il se trouve que Le Mer s’est inspiré de l’œuvre et de l’esprit de Pierre Soulages, alors que Leïla Ka vient avec Maldonne, travail féminin sur le geste et la danse pure qui ne semble rien devoir à d’autres disciplines artistiques.
Comme Le Mer et Leïla Ka, Bintou Dembélé vient de l’univeers des danses urbaines. Elle transmet aujourd‘hui au danseur House Michel Onomo son solo Rite de passage – Solo II, où elle interroge la mémoire personnelle et collective dans la quête d’espaces de liberté, du marronnage aux expérimentations d’artistes en marge des institutions. Il faut dire que Dembélé est une habituée de tels croisements puisque c’est elle qui a amené le krump sur le plateau de l’Opéra Bastille.
Thomas Hahn
Festival Trajectoires, 7e édition. Du 11 au 21 janvier 2024
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