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« NO OCO » de Loïc Touzé et « Static Shot » de Maud Le Pladec

Nous avons assisté au double programme ouvrant la saison du Ballet de Lorraine à l’Opéra nancéen et pu, enfin, découvrir deux créations de deux figures de la danse contemporaine hexagonale, NO OCO de Loïc Touzé et Static Shot de Maud Le Pladec. Pour ce qu’il nous a semblé, il s’agit de deux facettes d’une pièce de monnaie chorégraphique rendue comme un hommage à une belle compagnie de vingt-trois danseurs, hommes et femmes confondus.

Compte tenu de la qualité d’interprétation de ces jeunes artistes formés au classique et qui s’ajustent avec talent à l’avant-garde, au postmoderne et au contemporain, nous avons été surpris d’apprendre à cette occasion que le budget de fonctionnement d’un des meilleurs Ballets du pays, avec ceux de l’Opéra de Paris, de Malandain et de Preljocaj, a été amputé par la présidence de la région « Grand Est » de 10%. Comme si la danse, art considéré moins « grand » que le théâtre ou la musique, était encore un luxe. La salle bien remplie, composée de spectateurs de tous âges et conditions sociales, qui a suivi attentivement les deux parties du programme proposé par Petter Jacobsson et Thomas Caley a longuement applaudi auteurs et interprètes à l’issue du gala démontre selon nous le contraire.

Pourtant, la pièce de Loïc Touzé, NO OCO, est sans aucune concession. Elle n’a, de prime abord, rien qui puisse être qualifié de complaisant, ne vise pas au spectaculaire,  n’offre pas de gestes virtuoses. Qui plus est, que ce soit l’éclairage de Caty Olive, réduit à cinquante-six spots plongeant la scène dans une quasi-pénombre probablement pour raisons éco-esthétiques, que ce soient les costumes d’Alice Gautier et Martine Augsbourger aux teintes éteintes, intemporels ou atemporels, ou la scénographie de Miranda Kaplan avec une table interminable, placée ce qu’il faut de travers pour faire moderne – on a en tête le concept de décentrementnikolaïen –, tous ces éléments ne sont pas exaltants. 

D’autant que les danseurs, formés au chant par le « coach vocal » Myriam Djemour, ont à jouer les choristes d’un répertoire qui va du blues au fado. Les efforts du public ont été récompensés par l’esprit de finesse dont fait preuve le chorégraphe et la délicatesse déployée par les danseurs, en solo, en duos, en sections, séparés par le podium au centre de la scène (ou, comme le fera remarquer une spectatrice, de « cène » la tablée étant composée de près du double d’apôtres) pouvant aussi faire office de catwalk. Le chant s’est en fin de déambulation changé en cris, en cris d’animaux sur une arche de Noé. Force a été de constater que l’audience a suivi la recommandation de Jean de La Fontaine : « Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage ».

Galerie photo © Laurent Philippe

Naturellement, Static Shot de Maud Le Pladec, une ancienne interprète de Loïc Touzé devenue à son tour choré-autrice, a d’emblée atteint sa cible, en poussant la sono à tout va, avec force basses et infrabasses. Un démarrage en trombe des enfants de troupe engagés, motivés, surmotivés, à cent à l’heure, à plus de deux-cents bits par minute, allegro presto et même prestissimo. Static Shotn’a rien de… statique, tout un chacun ne cessant de s’agiter. Certes pas en tous sens. Car si l’opus contraste avec celui qui lui précède, ce n’est pas seulement par cet effet d’emballement. La chorégraphe fait montre d’un esprit de géométrie. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Tout y est exécuté à l’unisson et, ce qui est rare dans le contemporain, à la fraction de seconde près. Comme au cinéma, expression à laquelle se réfère volontiers Le Pladec. Autant NO OCO paraît minimaliste, autant Static Shot est maximaliste, multipliant sans cesse les lignes, les chorus lines, les diagonales, les entrecroisements. On n’est pas loin d’un collage de séquences de Busby Berkeley, metteur en scène qui débuta, après le premier conflit mondial, en chorégraphiant des défilés militaires. Ici la fanfare est remplacée par la B.O. électro de Pete Harden et Chloé Thévenin ; les uniformes ne sont ni verts ni gris mais multicolores, carnavalesques, signés Christelle Kocher, valorisés par l’éclairage d’Éric Soyer ; la gestuelle n’est martiale qu’en apparence, puisqu’elle suit la vague ou la vogue du voguing.

Nicolas Villodre

Vu le 19 octobre 2022 à l’Opéra national de Lorraine

Jusqu'au 23 octobre 2022

Ballet de Lorraine

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