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Ballet X et Martin Harriague : L’apocalypse à Biarritz
La création de Xenia Wiest vs la danse basque de Bilaka : Au Temps d’Aimer, deux suspensions de la fin du monde.
« Et il sortit un autre cheval qui était roux ; et celui qui le montait reçut le pouvoir de bannir la paix de la terre, et de faire que les hommes se tuassent les uns les autres. » Surpuissant, il est l’un quatre cavaliers de l’Apocalypse biblique auxquels se réfère Xenia Wiest. Mais au festival Le Temps d’aimer, à Biarritz, il chevaucha tout aussi sauvagement la création de Martin Harriague. L’ancien chorégraphe associé du Malandain Ballet Biarritz y met en scène cinq danseurs du collectif Bilaka, troupe en compagnonnage avec le CCN du Pays basque français. Leur rencontre avec Martin Harriague, enfant de la ville, est donc tout sauf fortuite. Logiquement il s’agit d’évoquer dans Gernika (Guernica) la ville basque massacrée par les bombardements de l’aviation d’Hitler en 1937.
Mais commençons par Xenia Wiest. La jeune chorégraphe allemande aux origines russes souligna, avant la représentation de Nacht ohne Morgen (Nuit sans matin), ses liens avec la ville de Biarritz où elle fut lauréate du concours pour jeunes chorégraphes de ballet en 2016. Sans parler des origines biarrotes de Margaux Page, l’une des quatorze interprètes de cette création, montrée pour la première fois hors de la ville de Schwerin en Allemagne (ex de l’Est) où Wiest dirige le Ballet X, compagnie qu’elle fonda en tant que directrice de la danse au Mecklenburgisches Staatstheater.
De Moscou à Biarritz
A l’occasion de cette double escale de l’apocalypse, on se souvient d’Angelin Preljocaj qui consacra en 2010 sa pièce Suivront mille ans de calme à l’Apocalypse, mais dans le sens d’une promesse de paix et de la signification étymologique du terme d’apocalypse : la révélation par la levée du voile. Une vision optimiste aujourd'hui battue en brèche depuis Moscou, ville qui vécut la première de Suivront mille ans de calme (au Bolchoï) et ville de naissance de Xenia Wiest. La fille d’une professeure de violon et d’un batteur de jazz (on imagine les ambiances musicales domestiques) est pour sa part arrivée en Allemagne en 1993. Tout en menant une grande carrière d’interprète, entre autres au Staatsballett de Berlin sous la direction de Vladimir Malakhov, elle signe sa première chorégraphie en 2005.
Sa vision de la Nuit sans matin, inspirée de l’Apocalypse de Jean, trace subtilement un parcours à travers l’histoire de l’art allemand, de Dürer (Les Cavaliers de l’Apocalypse, 1511) à Brecht, en passant par Kurt Jooss et sa fameuse Table verte. Ce ballet moderne et en même temps médiéval commence par l’arrivée des quatre cavaliers qui font tourner une table carrée, tel un Yalta céleste et furibond décidant du sort de l’humanité et avant tout, des réfugiés. La guerre, la faim, la maladie, la mort rodent. Le monde a-t-il progressé depuis le XVIe siècle ? La création de Nacht ohne Morgen, dédié aux Afghans fuyant le régime des Talibans, eut lieu en 2019 à Schwerin, dans le cadre d’une soirée avec cinq créations autour d’une thématique sans doute inspirée de la pandémie actuelle : « Apocalypse et fin du monde ».
Galerie photo © Caroline de Otero
Une chorégraphe à suivre
Traversée d’images médiévales et de jeu expressionniste, parfois portée par des musiques rappelant Kurt Weill (mais signées Patrick Soluri), cette Nuit sans matin révèle aussi une spécificité du système allemand, où les compagnies locales ne tournent pratiquement pas. Aussi l’énorme cadre carré, mobile et suspendu au-dessus des danseurs, sans doute censé représenter la puissance des cieux, semble surdimensionné par rapport au format terrestre de ce ballet, sans jamais réussir à incarner une dimension mystérieuse. Si l’énorme objet, certes démontable, trouve facilement sa place dans les réserves du Staatstheater, il n’est pas forcément conçu pour faciliter les tournées.
Plus sournoisement, ce sont les dimensions du plateau et de la salle à la Gare du Midi de Biarritz qui ont révélé les lacunes dans une écriture qui peine à imposer ses motifs et sa composition avec la force nécessaire. Mais le langage visuel, les expressions, les compositions corporelles, le travail sur pointes très personnel et le langage gestuel montrent le talent de Xenia Wiest qui ne demande qu’à s’affirmer davantage. En signe d’espérance, la pièce s’achève en révélant non seulement une grande tendresse de la mort pour ses victimes mais aussi que Wiest semble bel et bien promise à une carrière intéressante.
Galerie photo © Olivier Houeix
Guernica, le traumatisme de l’apocalypse basque
Le massacre de la population civile à Guernica a, quant à lui, ouvert les portes à tous les massacres de la population civile par les armées. Ville basque située à cinq minutes de vol de Biarritz, Guernica est devenu un symbole. Et Martin Harriague signe un manifeste en essayant de représenter ce qui tout naturellement se dérobe à l’évocation : les horreurs d’un massacre. Sauf en cas de chef-d’œuvre indiscutable, comme Guernica de Picasso. Mais ce qui est possible sur une toile – en matière d’abstraction et de symbolisme – ne l’est pas pour la danse sur un plateau, d’autant plus que le symbole de la danse basque – par le quintette de Bilaka Kolektiboa – prime largement sur le tableau chorégraphique rendant hommage au tableau de Picasso, à son tour inspiré de l’Apocalypse de Saint-Sever.
Obus suspendus
Ce Gernika par la danse est un manifeste dans le sens d’une évocation historique, là où Picasso manifesta par la forme artistique qui, en faisant exploser les cathédrales esthétiques, devint politique au-delà de la prise de position contre la terreur. Le collectif Bilaka, Martin Harriague et les trois (formidables !) musiciens sous l’égide du compositeur Xabi Etcheverry s’emploient plutôt à circuler sous un tapis de bombes. Ces engins de la mort descendent des cintres dans une lenteur toute en poésie et en frayeur, s’éternisant dans leur menace. Leur beauté paradoxale rencontre un autre instant suspendu, celui du danseur basque à la jambe levée, quand la pointe de la chaussure atteint la verticale et semble s’accrocher au firmament à la manière de la balle du jongleur. Mais ni bombes ni gravats ne se prêtent au jonglage, et il n’y en a donc pas dans Gernika.
La vitalité de la danse basque côtoyait l’évocation des décombres et de la vie humaine qui ressurgit des gravats après le bombardement. Pendant ce temps, on pouvait observer à la plage quelques vacanciers dont le jeu sportif consistait à lancer des obus prenant la place du ballon ou du frisbee, jouet sur lequel les fabricants se sont amusés à reproduire le crissement qui devait terroriser la population des villes pilonnées. Sur scène Martin Harriague utilise la sonorisation et le stroboscope pour évoquer la terreur mais peine à dépasser le côté péplum dansé qui colle plus à l’époque des événements qu’à la nôtre.
Galerie photo © Olivier Houeix et Caroline de Otero
La danse basque, elle, est de toutes les époques, comme le prouvent les créations du chorégraphe basque Jon Maya, désormais artiste associé au CCN dirigé par Thierry Malandain. Si l’enthousiasme du public était assuré à ce projet entièrement inscrit sur la côte basque, il lui manque l’esprit universaliste qui peut inscrire la tradition dans un dialogue avec les ailleurs et proposer un regard nouveau sur son langage artistique, comme sut faire un Picasso, comme le font les chorégraphes issus de la danse populaire basque. Harriague, par ailleurs deuxième prix en 2016 au Concours de jeunes chorégraphes de ballet à Biarritz et donc lauréat la même année que Xenia Wiest, inscrit ici la danse de Bilaka, aussi séduisante soit-elle, dans un rapport figé au temps alors qu’il se montre inventif et iconoclaste quand il travaille avec les danseurs classiques ou contemporains. Ce qui nous enseigne que les meilleurs ambassadeurs prouvant la modernité de la danse euskadi sont aujourd’hui ceux qui la pratiquent au quotidien.
Thomas Hahn
Biarritz, Festival Le temps d’aimer la danse
Nacht ohne Morgen : le 14 septembre, Gare du Midi
Gernika : le 15 septembre, le Casino
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