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Dernier bon pli
Grande figure de la mode, Issey Miyake s’est éteint le 5 août. Il avait 84 ans. La rencontre entre un génie de l'art chorégraphique et un designer de mode de génie ont modifié l'histoire de la mode et du costume de danse.
Grande figure de la mode, Issey Miyake s’est éteint le 5 août. Il avait 84 ans. Chercheur, se rêvant designer de vêtement plus que couturier, il a fait entrer la mode dans l'ère moderne en inventant les Pleats Please, ligne confortable pour sa fluidité épousant librement le corps, fonctionnelle puisque se défroissant spontanément et follement créative puisque support d'impressions et de couleurs infini. Un rêve de costume de danse en somme. Cela tombe bien, c'était un costume de danse. Ou comment la rencontre entre un génie de l'art chorégraphique et un designer de mode ont changé cette dernière !
C’était le 17 octobre 1992. Le défilé Miyake est toujours un moment attendu ; la salle est pleine et soudain une vague déferle sur le public. Les modèles sortent du fond, déferlent vers le public dans une vague fluide, colorée, mobile et changeante. Les vêtements flottent dans l'air comme des élytres de papillon et ceux qui les portent sont énergiques, vifs, dépourvus de cette légère morgue que l'usage requiert des mannequins professionnels. Et pour cause, ce sont des danseurs, ceux du Ballet de Frankfurt, vêtus de ces nouveaux vêtements que vient d’élaborer pour eux Issey Miyake lui-même… Depuis 1988, le couturier travaille sur des vêtements novateurs dont les plissés sont permanents. Ils sont réalisés à base de matières diverses, polyester, lin ou coton, et leurs plis serrés et réalisés selon des processus très élaborés rendent les vêtements légers, aériens et faciles à porter. Mais pour que ce qui n'était alors qu'une recherche deviennent une révolution pour toute la mode, il a fallu une rencontre.
Olivier Saillard, historien de la mode et qui fut directeur du Musée Galliera jusqu'en 2018, mettait cette rencontre au niveau de ces exceptions qui font changer les événements mais qui restent trop rare : « je considère, par exemple, la fusion étrange qu’il peut y avoir entre les univers d’Issey Miyake et de William Forsythe comme une expérience marginale, malheureusement. C’est une rencontre qui a favorisé la naissance, non pas seulement d’un costume de scène, mais d’un vêtement : le “pleats please ”, qui est né de la nécessité de libérer le corps du danseur, de fluidifier ses mouvements. En cela, on peut réellement dire que le couturier s’est servi de la danse comme laboratoire »[1].
Né le 22 avril 1938 à Hiroshima (ouest du Japon), Issey Miyake avait 7 ans, le 6 août 1945, et survécut au premier bombardement atomique de l'histoire. Non sans conséquence : sa mère décéda trois ans après la fin de la seconde guerre mondiale des suites des radiations de la bombe atomique et lui-même souffrit toute sa vie de séquelles qui ont handicapé sa marche. Très vite après son premier défilé (1963), il s’était installé à Paris en 1965, étudiant à l’Ecole de la chambre syndicale de la couture parisienne avant de travailler pour Guy Laroche et Givenchy. En 1971, il fonde sa propre maison de couture, installe un bureau d'étude au Japon, implante des boutiques dans le monde entier et il surprend en utilisant formes géométriques et matières – comme le papier japonais – jamais exploitées auparavant dans la mode. En 1999, Miyake présente sa dernière collection et laisse la direction de sa maison à son assistant Naoki Takizawa.
Entre temps, il a inventé le fameux Pleats Please à partir du concept du plissé Fortuny. Le couturier a donné, en 2005, une explication toute personnelle de cette rencontre avec William Forsythe. « Trois ans plus tôt, j'avais déjà eu envie d'arrêter et je m'étais enfui en Grèce avec un sac à dos pour seul bagage. Là-bas, c'était la vraie vie. J'en suis rentré avec l'idée de faire de l'anti-couture, de définitivement toucher un autre public et me rapprocher du corps. Maïmé Arnodin m'a alors parlé du chorégraphe William Forsythe et, le lendemain, j'étais à Berlin. Je me vois encore lui quémander comme un gamin si je pourrais dessiner les costumes de son prochain ballet ? Le justaucorps des danseuses était trop sexy et décolleté à mon goût. J'avais également le travail de Coco Chanel sur le jersey en tête. Mais j'avais envie de quelque chose de moins épais, qui fasse naître des volumes inattendus lors des mouvements. Je voulais aussi que ces costumes soient confortables, faciles d'entretien et personnalisables dans la façon de les porter. C'était déjà l'idée du sans-couture. »[2] L’assistante parisienne d’Issey Miyake, Marie Chalmel, raconte la rencontre « après le spectacle, ils ont discuté [Miyake et Forsythe]. Aucun des deux n’a demandé quelque chose à l’autre. Mais Forsythe a laissé carte blanche à Monsieur Miyake ». Rentré à Tokyo Miyake envoie deux caisses, l’une pleine de vêtements aux couleurs sombres et denses, l’autre de couleurs fraîches et vives. Il y a 400 pièces de costumes que porteront, dès le 11 mai 1991, les danseurs du Ballett Frankfurt pour la création de The Loss of Small Detail… Le chorégraphe, de son côté, raconte l’histoire différemment et affirme que lorsqu’il a rencontré le couturier, il cherchait des costumes qui soient capables de voyager très facilement. L’histoire est sans doute entre les deux.
Issey Miyake est depuis longtemps passionné par les danseurs et les chorégraphes. Sa première collaboration remonte à 1980 lorsque Béjart lui demande ainsi qu’à son collaborateur Tomio Mohri les costumes de Casta Diva. Si les deux artistes sont restés en bons termes, il n’y eut pas d’autres collaboration. Ensuite Miyake a travaillé avec le groupe Momix, non pas pour un spectacle, mais pour des défilés. Lors d’un des premiers défilés de la collection homme, à l’hôtel Saint-James et d’Albany, les Momix donnèrent, chaussés de skis, l’une des pièces de leur répertoire et Daniel Ezralow collabora à plusieurs occasions. L’une d’elle, à Beaubourg, comptait, outre les Momix, Patrick Dupond. Plus attendu car d’une esthétique dépouillée que l’on attend dans l’univers de Miyake, en 1997, Saburo Teshigawara a joué le rôle de directeur artistique de plusieurs défilés.
Et après qu’il se fut retiré des podiums, d’autres chorégraphes ont profité de cette étonnante souplesse et de la facilité d’usage des créations de Miyake sans même qu’il les ait conçus pour cela. Ainsi, pour Obstinato (2004), superbe solo de Francesca Lattuada pour Rita Quaglia, celle-ci s’enveloppait d’une robe signée Isse Miyake qui en faisait comme une chrysalide. Car Miyake n’a pas besoin de « faire des costumes de danse », son désir de faire des vêtements qui soient liés au mouvement et au corps rend ses créations par nature chorégraphique et du bon pli.
Pour la dernière Fashion Week, la présentation du défilé de Flowers and Vases, la collection Homme Plissé Spring/Summer 2023 collection était mise en scène à Paris par Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de Chaillot, avec mannequins, performeurs et le collectif d’acrobates Compagnie XY… Logique !
Philippe Verrièle
[1] http://www.vogue.fr/culture/en-vogue/diaporama/couturiers-et-choregraphes
[2] LEXPRESS.fr, publié le 03/11/2005.
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