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« Îles » et « Montagnes » chez Jefta Van Dinther : « On Earth I’m Done »

A Montpellier Danse, le diptyque pour et par le Cullberg réinvente l’humanité : Un désaveu du monde actuel. 

Il est l’un des trois chorégraphes « maison » du Cullberg : Le Suédois Jefta Van Dinther, qui a étudié à Amsterdam [lire notre interview] a réuni à Montpellier Danse les deux volets de son diptyque On Earth I’m Done. Par ailleurs, car il est encore utile de le préciser, il n’est plus de mise de penser « ballet » quand on entend « Cullberg ». Aucun des trois chorégraphes qui travaillent avec la troupe de Stockholm (Van Dinther, Deborah Hay et Alma Söderberg) ne se consacre au langage classique. Et comme le montre Van Dinther dans On Earth I’m Done : Islands (pas tout à fait en première mondiale à Montpellier, mais presque), il s’agit plutôt de réinventer l’art de se mouvoir, si ce n’est de réinventer l'homo sapiens. 

On Earth I’m Done : L’adage a le mérite d’être aussi clair que radical. Van Dinther n’est pas seul à se dire que la terre est devenue un endroit non identifiable (dans le sens qu’on ne s’y reconnaît plus) dont il faudrait partir pour recommencer ailleurs, et qu’il faut mettre en place un nouvel ordre social, une nouvelle manière d’exister. Ensemble. Réinventer l’humanité. Voilà… A la ville, cet appel d’ailleurs se résume bien sûr à un constat d’échec, une capitulation. A la scène, la matière est riche et a tout d’un nouveau départ. 

Corps synthético-organique

Mais avant d’arriver sur cette île où une nouvelle humanité voit le jour, il faut passer par cette conclusion qu’est On Earth I’m Done : Mountains. Où Agnieszka Sjökvist Dlugoszewska, seule en scène, arpente un paysage et arrive à une sorte de point zéro de la danse. Ses quelques gestes répétitifs, la voix métallique de son chant (des mots isolés en reflet de notre époque) suggèrent un être hybride, entre le charnel et l’artificiel, le féminin et le masculin (le personnage est conçu pour être interprété également par un homme, dont le chorégraphe Marco da Silva Ferreira), le matériel et le spirituel. 

La montagne, il est vrai, incarne l’éternité, la rencontre avec une forme d’absolu, le pèlerinage, la méditation. Et ici, une forme d’évasion, de césure. La toile qui couvre le sol et forme un paysage va progressivement se soulever, monter au plafond et former ce mont qui emporte avec lui le personnage. Pour Van Dinther, le solo se situe avant un événement, un cataclysme, quelque chose qui rend nécessaire le nouveau départ suggéré dans On Earth I’m Done : Islands, où toute la compagnie partage un espace premier et nu, aussi vierge que leurs relations sociales et le rapport au corps et au mouvement. 

Danser l’après-humanité

Après l’austérité montagnarde, voici un soudain déluge d’imaginaires cinétiques et relationnels. Tout est à réinventer, tout surprend. L’humanité s’est éteinte et d’autres créatures vont en enfiler le costume, comme si le personnage de Mountains  se démultipliait. Sur ce rivage – qui pourrait être une autre planète selon Van Dinther – une série de créatures débarque d’un espace incertain (la mer ?) et rejoue en quelque sorte l’évolution, le stade reptilien, la colonie animale, la découverte de l’individualité et celle de l’autre, de l’érotisme, du groupe… 

Tout ceci n’est pas seulement d’une virtuosité et d’une ingéniosité époustouflantes, la chose fait sens tout simplement. Le corps humain, on le voit ici mieux que jamais, dispose de possibilités cinétiques qui dépassent de très loin les registres que nous identifions à la bipédie. Au ras du sol, ils glissent, rampent etc., développant des rapports au sol, au corps et à l’autre qui surprennent sans cesse et ouvrent de nouveaux imaginaires. Donc, si on peut ainsi réinventer nos façons de nous mouvoir, qu’attendons-nous pour repenser nos liens sociaux et nos rapports aux êtres d’autres espèces ? 

Galerie photo © Carl Thorborg

« Ça prend du temps »

Tout ceci est intéressant à observer, jusqu’à un certain point. Du point de vue du chorégraphe, toutes ses pièces mettent en scène des processus, des quêtes, voire des luttes pour atteindre un état autre, telle une extase ou une transe. Cette transformation, dit-il, est une lente éclosion à observer quasiment en temps réel. Et comme il conçoit ses pièces telles des expériences à vivre, il ne parle pas du temps nécessaire à l’élaboration, mais de la durée d’une représentation, qui peut être conséquente.  « Il ne s’agit pas d’appuyer sur un bouton », dit-il : « Atteindre la transe, ça prend du temps. » Le spectateur qui vient au théâtre ne partage pas forcément cette optique quasiment scientifique qui justifie tout le temps investi dans l’observation scientifique. Il ne participe pas à la transe, mais atteint un état de saturation. A Montpellier Danse où les deux volets ont été présentés dans la foulée – il s’agissait en ce sens d’une première mondiale – ce rapport au temps a été particulièrement critique. Et critiquable. 

Thomas Hahn

Vu, le 2 juillet 2022, Domaine d’O, Théâtre Jean-Claude Carrière
42e festival Montpellier Danse

 
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