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« Song of the North » de Hamid Rahmanian

Au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, un époustouflant théâtre d’ombres cinématographique, joué en direct par sept acteurs-danseurs. 

C’est en 2019 que le public parisien a pu découvrir et apprécier l’art de Hamid Rahmanian, un théâtre d’ombres en couleurs et format grand écran, cinéma pour grands et petits racontant des épisodes du Livre des Rois, épopée à situer au même rang que le Mahabharata ou le Ramayana. Mais l’œuvre de Ferdowsi est bien moins connue en Occident que ses homologues du sous-continent indien. C’est l’un des objectifs de Rahmanian : contribuer, à travers son art si singulier, à une meilleure perception de la culture de son pays d’origine. Le metteur en scène qui vit aux Etats-Unis dit lutter tout autant contre une perception dévalorisante du spectacle tous publics. 

Après l’avoir accueilli une première fois en 2019 avec Feathers of Fire [lire notre reportage], le Musée du Quai Branly-Jacques Chirac a proposé à Rahmanian de fêter à Paris la première mondiale de sa nouvelle création : Song of the North - Les amours de Bijan et Manijeh. Avec des images encore plus percutantes, plus cinématographiques et des effets sonores comme dans une salle du septième art. Avec plus de musiques traditionnelles aussi, pour offrir une expérience culturelle plus fidèle à la tradition iranienne. Pourtant, Rahmanian a largement adapté l’épisode qui relate la rencontre entre la princesse Manijeh, ici une fille très guerrière car formée au tir à l’arc, et Bijan, fils de Guiv, et meilleur chevalier d’Iran. Leurs pays et maisons royaux respectifs sortent tout juste d’une guerre sanglante, mais les deux vont sceller la paix, grâce à leur amour mutuel. Lequel s’affirme à travers moult épreuve. 

Mais Rahmanian a dû adapter l’histoire aux goûts d’aujourd’hui : « Dans l’original, Bijan veut capturer des femmes chez l’ennemi pour les offrir à son roi. Dans ma version de l’histoire, il doit se réinventer, se débarrasser de son arrogance, apprendre l’humilité et le pardon face à Manijeh qui souffre vraiment pour vivre son amour. » La princesse et guerrière du royaume Touran est répudiée par son père, le roi, et doit vivre au milieu du désert. Elle devient même mendiante avant de s’installer avec Bijan qui doit passer par un séjour au Grand Puits du Désespoir avant d’être sauvé par Rostam et d’être accueillie en Iran par le roi Key Khosrow. 

Et ce ne sont là pas les seuls efforts de réécriture pour rendre la légende recevable par le public d’aujourd’hui. « Il y a 3000 ans, le monde était bien différent. Mais il est important que ces légendes puissent continuer à être entendues », dit Rahmanian. Aussi les animaux, voire les monstres qui attaquent Bijan sont ici remplacés par des démons et ceux-ci ne seront pas tués mais renvoyés en leur propre royaume, dans les entrailles de la terre. Un grand manipulateur de l’histoire, ce Rahmanian ? Surtout un grand manipulateur de figurines !

Derrière la toile tendue au maximum, les acteurs-danseurs manipulent 500 figurines représentant personnages, éléments de la nature, châteaux, armées, fleuves, démons, ornements... Les sept manipulateurs prêtent leurs corps aux protagonistes, se fondant dans les figurines. La gestuelle est soutenue et expressive, comme pour un film muet. Mais les dialogues viennent, en anglais et surtitrés, de la bande son. 

Le théâtre d’ombres cinématographique de Hamid Rahmanian, présenté sous le titre générique de Shâhnâmè, offre en fait deux spectacles : celui que le public voit depuis la salle, limpide et techniquement parfait. Et l’autre, derrière l’écran, apparemment une véritable fourmilière, et pourtant tirée au cordeau dans toute sa complexité. Avec Rahmanian qui veille sur la bonne application des calculs complexes qui lui en permis, en amont, d’organiser les 208 transitions instantanées entre projecteurs, lumières flash et animations mises en œuvre par les danseurs-manipulateurs. 

Par rapport à Feathers of Fire, « tous les interprètes sont nouveaux et plus jeunes car cela veut dire qu’ils s’adaptent plus facilement aux exigences de ce spectacle très particulier. Il ne fallait pas qu’ils aient déjà intégré de techniques de jeu spécifiques, et  Song of the North est techniquement très différent de  Feathers of Fire », dit Rahmanian. D’autant plus qu’il fallait une interprétation plus relevée des protagonistes : « J’avais besoin d’avancer sur l’écriture des personnages. Dans Feathers of Fire, tout était basé sur les événements. » Le jeu des acteurs-danseurs derrière l’écran intègre ici plus de vérité psychologique. Le public, lui, vit Song of the North comme un véritable film. Sauf qu’à la fin, les protagonistes viennent saluer, comme après un spectacle de danse. Voilà un théâtre d’ombres plus contemporain et plus fascinant que jamais. 

Thomas Hahn

Vu le 10 février 2022, Théâtre Claude Lévi-Strauss, Musée du Quai Branly-Jacques Chirac

Conçu, créé et dirigé par Hamid Rahmanian sous le titre original Song of the North
Co-écrit par Hamid Rahmanian et Melissa Hibbard et adapté duShâhnâmè : Le Livre des Rois
Production : Melissa Hibbard
Régie plateau : Zach Perez
Manager : Ray Dondero

Avec : Sam Jay Gold (Rostam), Harrison Greene (Gorgin), Jenny Hann (Simorgh), Esme Roszel, Sarah Walsh (Manijeh), Clay Westman (Bijan), Christopher Williams

Traduction des surtitrages : Géraldine Bretault

Une production Fictionville Studio, un projet Two Chairs Inc.

En tournée:

5-12 mars 2022 : New York, Harvey Theater, Brooklyn Academy of Music

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