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Reportage : Dans les coulisses de « Shâhnâmè - une épopée persane»

Nous avons eu le privilège d’assister à un spectacle caché, révélant la part invisible de Shâhnâmè, un cinéma d’animation interprété en direct, derrière l’écran. Fascinant !

Conçu par le dessinateur et réalisateur de films d’animation iranien Hamid Rahmanian, Shâhnâmè est un spectacle unique en son genre. Créé en 2016 à la Brooklyn Academy of Music sous le titre original de Feathers of Fire, il relie la tradition millénaire du théâtre d’ombres à une projection cinématographique et à l’art du geste. Dans la salle, le public voit un véritable film d’animation pendant que l’épopée est performée en direct de l’autre côté de l’écran, où huit artistes interprètent et gèrent un dialogue entre acteurs-danseurs et quelques cent-soixante figurines.

Il a fallu des années de recherche et de fabrication des silhouettes avant de pouvoir entamer le travail chorégraphique qui exige un jeu extrêmement précis et stylisé, par des interprètes qui portent des costumes féeriques et des masques en ombres chinoises. Mais le terme est biaisé, car Hamid Rahmanian, artiste iranien vivant aux Etats-Unis, a conçu tous les figurines et les masques dans la tradition de l’art persan.

Shâhnâmè ou Feathers of Fire relate un épisode du Livre des Rois du poète Ferdowsi, ouvrage aussi fondateur que le Mahabharata en Inde ou bien, chez nous l’Odyssée d’Homère et l’Ancien Testament réunis.

Derrière l’écran, un spectacle caché

« En général, nous invitons une partie du public à suivre le spectacle derrière l’écran. Mais les organisateurs parisiens ne  l’ont pas autorisé », dit Rahmanian que  nous avons rencontré après avoir assisté à une séance de mise en place sur le plateau du Théâtre Claude Lévi-Strauss. Mais nous pouvons donner ici quelques impressions de ce spectacle caché, où l’on voit les danseuses enfiler les masques, déballer, manipuler et remballer les figurines et se positionner près de l’écran, pour dialoguer à hauteur de femme (alors que les personnage sont surtout masculins) avec des silhouettes de taille miniature. Ce ballet incessant a lieu entre l’écran et deux projecteurs vidéo, placés à gauche et à droite du centre de l’écran.

Deux cadres rectangulaires servent à accrocher, pour certaines saynètes, des films transparents intégrant des éléments paysagers ou architecturaux ou bien une foule humaine en miniature. Les deux projecteurs vidéo envoient une lumière intense qui projette les silhouettes d’un palais, d’un chapiteau, de montagnes, de la mer, de batailles, de feux d’artifice et tant d’autres. Figurines et films vidéo relèvent tous de la même esthétique, venant de la main de Hamid Rahmanian. S’y ajoutent les masques qui prolongent les visages des actrices et du seul acteur.

Des actrices pour tous les rôles

Et par ailleurs, pourquoi cette suprématie féminine, alors que les personnages sont en grande majorité masculins ? Les femmes seraient-elles plus souples (il faut se plier sous les projecteurs dans des positions saugrenues pour tenir les figurines) ou plus précises dans le geste ? « Aucune raison particulière, ça s’est trouvé comme ça. Homme ou femme, à l’écran la silhouette est la même », répond le metteur en scène et réalisateur.

A priori, cela étonne. Mais il dit vrai. Car les corps ne se positionnent pas de façon parallèle à l’écran, mais dans des angles allant de 40° à 90°. L’interprète peut ainsi contrôler la position et l’apparence de sa silhouette.

L’autre effet est justement la disparition des différences entre un corps masculin et un corps féminin. Seuls les visages apparaissent toujours en profil. Certains masque sont mêmes doubles, ce qui permet l’inversion instantanée de la tête et donc de la direction de jeu, exactement comme dans le théâtre d’ombres traditionnel.  S’y ajoutent ici les couleurs.

Là où la tradition travaille avec du feu comme source lumineuse et ne peut connaître que le contraste binaire du plein et du vide, la puissance des projecteurs vidéo actuels permet de remplir certains vides des figurines de films transparents colorés. Sans parler des vidéos d’animation dans lesquels s’intègrent les silhouettes et les interprètes.

Un écran tendu comme une peau de tambour

Pour la conception des masques, Hamid Rahmanian a été conseillé par Larry Reed, grand maître du théâtre d’ombres. Pour la réalisation technique de ce concept inédit, il a dû mener de longues recherches. Il faut savoir que les cycloramas utilisés dans les théâtres pour pouvoir changer de couleur en fond de scène, ou tout autre écran habituellement utilisé pour les projections, est trop épais pour permettre une projection par derrière, sans perte importante en luminosité de l’image. D’où la position habituelle des projecteurs au-dessus du public qui posent le problème de l’ombre des acteurs sur l’écran.

Mais dans le cas de Shâhnâmè, cette option est exclue d’office. Il a donc fallu trouver une alternative : Un écran ultra-fin et léger. « Cet écran doit être tendu comme la peau d’un tambour pour éviter le moindre pli », affirme Rahmanian : « L’écran a couté très cher, mais il évite presque l’intégralité de la perte en luminosité qui est assez importante avec les écrans habituels. » Après tout, pour le public, ce spectacle gestuel est une projection d’un film d’animation et la qualité visuelle est indispensable pour créer pleinement la poésie que l’on trouvait, il y a mille ans déjà, face à un drap et des torches.

Précision graphique et rythmique

Autre difficulté technique : Quand on travaille avec des figurines de petite taille pour créer des images remplissant un écran de cinéma, les contours risquent fortement d’être flous. Rahmanian: « Nous avons cherché longtemps avant de trouver des projecteurs capables de créer une silhouette précise, malgré la proximité avec le projecteur et l’énorme distance avec l’écran, en raison de la taille d’image requise. » Et s’il est nécessaire de travailler avec deux projecteurs, c’est qu’il y a toujours une équipe qui est en train de préparer le tableau suivant, sous le projecteur qui n’est pas en service.

Les centaines de basculements entre les deux appareils se font manuellement, pour être toujours en phase avec le jeu des interprètes, et forcément dans une précision chirurgicale, car il s’agit de créer des cuts cinématographiques par centaines. « Dans ce spectacle, tout et absolument tout dépend du rythme » confirme Rahmanian. Si le pilotage manuel est nécessaire pour éviter le moindre décalage, tous les paramètres visuels sont en revanche enregistrés sur un ordinateur central.

Pendant tout ce temps, le spectateur s’adonne à la poésie d’une épopée millénaire, dont on suit ici un épisode d’amour et de pouvoir. On se laisse envahir par la magie visuelle, sans se douter du ballet incessant qui se produit derrière l’écran.   

Thomas Hahn

Shâhnâmè - une épopée persane

Théâtre Claude Lévi-Strauss, Musée du Quai Branly - Jacques Chirac, jusqu’au 16 décembre 2018

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