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« Fruit Tree » de Lara Barsacq à l’Atelier de Paris

De Nijinska à Rosas : Première française de la 3eme création de Lara Barsacq en écho aux Ballets russes. A voir à La Manufacture-CDCN le 16 décembre prochain.

L’écoféminisme est-il soluble dans l’histoire de la danse ? Une pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker peut-elle résonner avec Bronislava Nijinska ? On devine que la réponse est affirmative, car si Fruit Tree il y a, c’est que Lara Barsacq a su entremêler de manière fructueuse deux branches apparemment contradictoires de l’arbre généalogique de la danse, à savoir Noces de Nijinska et l’univers de la fondatrice de la compagnie Rosas. Et si Bronislava et Anne Teresa avaient des choses à se confier, si seulement quelqu’un les mettait en relation ? 

Tressages chorégraphiques

Dans ce quatuor créé à Charleroi Danses (Bruxelles) et aussitôt présenté à l’Atelier de Paris-CDCN, tout part des tresses qui lient les femmes dans Noces de Nijinska et Stravinsky. Lara Barsacq s’y réfère pour faire fleurir les symboliques tels des fruits murs – de la terre aux cheveux, des rites ancestraux aux matériaux chorégraphiques contemporains. Chez De Keersmaeker, les femmes sont libres, et les nattes impensables. Mais les deux chorégraphes ont travaillé avec des chœurs et cultivé une osmose entre écriture musicale et chorégraphique.  

Fruit Tree  est la troisième création de la chorégraphe bruxelloise en lien avec les Ballets russes de Diaghilev, et donc avec sa propre histoire familiale [lire notre critique]. D’autre part, ce quatuor semble aussi être inspiré de la ville carrefour qu’est Bruxelles, avec son ambiance qui favorise la liberté de ton et de forme, qui a permis à la chorégraphe et comédienne formée à Paris de rencontrer deux interprètes de Rosas qui l’ont rejointe pour Fruit Tree : la Coréenne Sue-Yeon Youn et le Brésilien Carlos Garbin, ici également musicien sur le plateau. 

Une chorégraphe oubliée ? 

Aussi se mêlent les tresses de la mémoire et du présent, quand Barsacq revisite des fragments chorégraphiques extraites de Noces  par la circulation libre pratiquée chez de Keersmaeker. Et aucune limite ne semble exister pour passer d’un spectacle conférence sur Nijinska à un concert chorégraphique, d’une conversation sur le rapport des interprètes au mariage à l’évocation dansée et parlée de Nijinska, seule femme chorégraphe des Ballets russes. 

La vision de Nijinska était de créer de nouvelles formes artistiques, affirment d’emblée les interprètes de Fruit Tree et interrogent sur le peu de livres consacrés à l’autrice de tant de chorégraphies. Et l’une sort d’un sac en plastique les deux seuls ouvrages qui existent, dont les Mémoires 1891-1914. Deux livres seulement, et qui plus est, incomplets ! Une chorégraphe oubliée donc. Parce que femme ? Parce que la sœur de… ? 

A l’origine, Arte en boucle

Au moins Barsacq n’est-elle pas seule à rendre hommage à Nijinska. Le programme NijinskaEt voilà la femme ! de Dominique Brun [lire notre critique] inclut, lui aussi, Noces et c’est une grande chance de pouvoir confronter les deux regards, pratiquement en même temps. Si Barsacq dit avoir travaillé, avec les autres danseuses, de façon libre à partir de photographies, on retrouve néanmoins les gestes et ambiances typiques de cette œuvre créée en 1923 à Paris, qui lamente le sort d’un couple marié de force, sous le joug des archaïsmes ruraux. 

Sur fond de chœurs de Stravinski, Barsacq et ses co-interprètes font vivre la fusion de cette gestuelle tellurique et expressionniste avec la liberté aérienne des premières pièces d’Anne Teresa De Keersmaeker. L’histoire de cette rencontre est singulière. Barsacq raconte comment, quand elle avait 16 ans, elle regardait sur Arte les vidéos du Ballet du Mariinsky interprétant Noces et un film mélangeant deux créations de Rosas, qui tournaient en boucle. Aussi, dans sa mémoire, les deux pouvaient se superposer, comme dans un rêve, et aujourd’hui sur un plateau. 

« Ne pleure pas Nastasie… »

L’un des motifs graphiques de Noces est bien sûr la prolifération de la chevelure féminine, dressée en longues tresses, symboles très concrets et même matériels de la captivité des femmes dans l’archaïsme rural. Dans Fruit Tree, ces nattes ressurgissent en métaphore des racines d’un arbre fruitier imaginaire renvoyant à la fécondité et par extension, à la féminité. Cet arbre fruitier, on le retrouve dans la chanson de Nick Drake qui prête son titre au spectacle. 

La pièce de Nijinska et Stravinski était donc une prise de position claire en faveur de la liberté. Mais par son lien à la terre fruitière, comme pour répondre au Sacre du printemps de son frère lequel ne semble pas trop s’apitoyer sur le sort de l’Elue, Noces  cultive une symbolique de la fécondité et de la soumission de la femme qui s’exprime dans certaines compositions de corps, faites de poses ovaires et fœtales. 

Les tresses faisant le lien avec la terre et la fécondité, elles montrent aussi la voie qui mène du corps de ballet chez Nijinska aux cordes-ballet chez Barsacq, de Stravinski à Nick Drake et aux improvisations musicales des quatre interprètes de Fruit Tree. La mélancolie du chansonnier anglais (« La vie n’est qu’un souvenir d’il y a longtemps, un théâtre plein de tristesse pour un spectacle oublié depuis longtemps ») n’est en rien étrangère à celle exprimée par Stravinski au sujet de la mariée : « Ne pleure pas Nastasie ma chérie, ne t’afflige pas, ne pleure pas, ne pleure pas ». Aussi l’écoféminisme radical de Fruit Tree fait fleurir un langage chorégraphique libre, fécond et solidement enraciné. 

Thomas Hahn

Vu le 27 novembre 2021, Atelier de Paris CDCN

A voir le 16 décembre à 20h à La Manufacture CDCN de Nouvelle-Aquitaine

Fruit Tree - un projet de Lara Barsacq

Création et interprétation : Marta Capaccioli, Marion Sage, Carlos Garbin, Sue-Yeon Youn 

Conseils artistiques : Gaël Santisteva
Scénographie et costumes : Sofie Durnez
Création lumières : Kurt Lefevre Accompagnement vocal : Jean-Baptiste Veyret-Logerias
Musiques : Nick Drake, Igor Stravinsky
Musiques originales : Gaël Santisteva, Carlos Garbin avec les interprètes

www.ruebranly.com/fruit-tree-fr

Dates de tournées
16.12.2021 | Fruit Tree, La Manufacture CDCN, Bordeaux 
11.02.2022 | Fruit Tree, Pays de Danses, Théâtre de Liège, Liège
12.02.2022 | Fruit Tree, Pays de Danses, Théâtre de Liège, Liège
25.02.2022 | Fruit Tree, Bits of Dance, Theaterzaal Biekorf, Brugge  17.03.2022 | Fruit Tree, In Movement, Les Brigittines, Bruxelles
18.03.2022 | Fruit Tree, In Movement, Les Brigittines, Bruxelles
19.03.2022 | Fruit Tree, In Movement, Les Brigittines, Bruxelles 

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